Analyses d'ouvrages
2006: Les Attracteurs informationnels
Alain Tihon. - Paris : Descartes et Cie, 2005. - 169 p. - (Interface-économie). - ISBN 2-84446-091-7: 18 €
Avec cet ouvrage au titre évocateur, Alain Tihon nous livre un contenu riche, argumenté, fourmillant d'exemples concrets sur les processus informationnels dans l'entreprise, et qui devrait bénéficier aux professionnels de l'information. L'auteur, diplômé en sciences économiques appliquées, a exercé des fonctions de management diverses (notamment dans le secteur bancaire) touchant à la gestion des informations. Il est consultant en stratégies de l'information et gestion des connaissances ainsi qu'en re-ingénierie des processus informationnels.
Le livre est organisé en six grandes parties. La première partie intitulée « Les balises » expose les raisons de l'intérêt de l'auteur pour l'information (« D'aussi loin que je me souvienne, j'ai été attiré par l'information »...) qu'il compare fort justement à l'eau qui irrigue, submerge ou disparaît pour laisser place au désert. L'information, de nos jours, semble perdre singulièrement de sa saveur et disparaît sous un emballage chatoyant : bref, le fond est délaissé pour laisser place à la forme. Plus grave encore, elle est manipulée, uniformisée, conditionnée pour constituer un discours plus ou moins insipide : la critique est sévère, mais finalement assez juste. L'auteur donne des conseils qui devraient être donnés le plus tôt possible par les enseignants à leurs lycéens et étudiants, afin que ceux-ci puissent se forger leur propre opinion par rapport à tel ou tel événement : ne pas se contenter d'une information tronquée, lire plusieurs quotidiens de presse d'opinions diverses, comparer les informations, les analyser, se forcer à l'objectivité. Finalement, n'est-ce pas également le rôle de tout documentaliste ?
Alain Tihon remet en cause les enseignements appris dans les écoles de management (en tant qu'ancien banquier, il est tout à fait à même de donner son avis), à savoir que « l'entreprise n'est pas le modèle rationnel, ordonné et efficace » que l'on croit : les enjeux de pouvoir, les luttes personnelles, collectives ou idéologiques contredisent ces enseignements. A l'appui de ces affirmations, les principes de Parkinson et de Peter sont cités en exemple, notamment par rapport au degré d'incompétence de certains employés qui a tendance à augmenter plutôt qu'à diminuer. Sont abordées ensuite ce que l'auteur appelle « les grappes informationnelles » : elles sont constituées de tout ce qu'un individu véhicule avec lui en termes de préjugés, d'opinions diverses, de clichés... Des slogans, sans cesse lancés ou repris par la presse, tels « mondialisation » ou « nouvelle économie », cachent une réalité souvent mal comprise et qu'il faut aborder avec un esprit critique. De même en entreprise. Cependant l'auteur ne souhaite pas analyser ces phénomènes (d'autres le font très bien selon lui), il souhaite plutôt se pencher sur le « phénomène information » proprement dit : « phénomène non linéaire » dont « l'approche est plutôt globale et non causale » où la logique n'est pas toujours évidente.
La seconde partie, « Orientations et définitions », précise quelques notions, donne les définitions - les « blocs de construction » - auxquelles le livre se référe, notamment par rapport à la connaissance et au savoir avec les théories de Nonaka et Takeuchi. L'entreprise est dans un « bain informationnel » et le système d'information permet l'interconnexion des données, de l'information et des connaissances : le facteur humain apparait comme essentiel, avec une dose de subjectivité importante. L'interaction entre la culture de l'organisation, son environnement, le savoir-faire humain, les structures et les technologies fait émerger information et connaissance. La troisième partie envisage « L'entreprise comme système d'information » : celle-ci produit, reçoit et crée de l'information en permanence. Le passage de l'implicite à l'explicite est constant. Même si la technologie accentue la fluidité, la tendance à se reposer sur elle est une limite en soi.
La quatrième partie s'intitule « Les attracteurs informationnels » : cette notion d'attracteur est le fruit de la réflexion d'Edward Lorenz, mathématicien et météorologue américain dans les années 1960. Même dans un monde en proie au chaos, une sorte d'ordonnancement se met en place en forme d'une spirale qui se répète à l'infini, avec des points de croisements. A. Tihon applique cette notion aux processus d'information et de création de connaissance en distinguant plusieurs types d'attracteurs : le partage, la tension, la rupture avec des exemples précis pour chacun d'entre eux. La cinquième partie « La recherche d'un attracteur informationnel » évoque les questions de ce qui est implicite dans l'information, de la part d'incertitude et de complexité inhérente. Afin de découvrir l'attracteur informationnel de l'entreprise, l'auteur propose de réunir un groupe de projet constitué de personnes-clés, sensibilisées au partage de l'information. L'objectif est de dresser une carte du système informationnel qui signale les points d'entrée et de sortie, les chemins pris et les points de croisement. Une analyse de la situation existante pourra ensuite être réalisée et distinguera : les processus génériques de l'entreprise (qui concernent sa gestion) et les usages informationnels. Partage, rupture et tension seront alors mis en évidence.
La sixième et dernière partie « La gestion de l'information » annonce, à l'évidence, que l'information dans l'entreprise doit être gérée, tâche qualifiée de « complexe » ce qu'aucun professionnel de l'information ne contestera : les données produites ou reçues doivent être rendues utilisables pour être distribuées ; l'information partagée permet alors de créer des connaissances, qui elles-mêmes se transforment. L'importance des attracteurs informationnels est rendue plus évidente car ils permettent de mieux se rendre compte des points de partage d'information sur la carte du système informationnel.
Voici donc résumées les idées principales développées par A. Tihon : même si sa vision de l'information dans l'entreprise n'est pas novatrice ou innovante (de nombreux auteurs avant lui ont fait cette analyse), c'est surtout la manière d'aborder les concepts qui est nouvelle et attractive. Avec un vocabulaire simple et concret, il relie entre elles des notions parfois complexes qui les rendent soudain beaucoup plus évidentes. Il introduit également la réflexion de nombreux auteurs qui apparaissent généralement peu dans ce type d'ouvrages, des philosophes ou des scientifiques. Il s'appuie enfin sur des exemples concrets et sa propre expérience de gestionnaire. Même si le dernier chapitre consacré à la gestion de l'information apparaitra un peu léger aux yeux de ceux qui la gèrent quotidiennement, cet ouvrage dans son ensemble présente trop d'intérêt pour être négligé ou vu comme un enième document sur un sujet éculé. On ne saurait trop recommander cette lecture : les professionnels de l'information peuvent en extraire des idées, mieux comprendre leur place dans le système d'information de l'entreprise et proposer des améliorations.
Voir le site d'Alain Tihon
Critique parue dans Documentaliste, sciences de l'information, 2006, vol. 43, 2, 158-159.
Cop. JP Accart, 2007
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