Edito du mois
Edito 150, juillet 2023 : L'IFLA 2024 à Dubaï ? ou quelques principes fondamentaux bafoués
Il est difficile pour une organisation non gouvernementale telle que l'IFLA de résister aux sirènes du désert d'Arabie. D'autres organisations avant elle ont profité de la manne des pétro-dollars, notamment les équipes sportives rachetées à prix d'or, des musées tel Le Louvre ou des chaînes hotelières de luxe (Le Crillon à Paris). Peu résiste et finalement, même les organisations du savoir tombent dans cette escarcelle si tentante. Le Conseil international des archives (ICA) n'est pas en reste, qui tient son prochain congrès à Abu Dhabi...
Ces dernières années, la Fédération a connu plusieurs déboires qui ont amenuisé sa réputation, l'on pense par exemple aux problèmes posés par le précédent secrétaire général qui est finalement parti. L'aventure de Dubaï risque de ne pas améliorer les choses.
Mais avant cela, on sentait les changements en cours sous-jacents par de nombreux signes : les pays ont des difficultés à financer et accueillir des congrès de cette importance, ce fut le cas pour celui prévu à Brisbane en Australie en 2010, annulé et remplacé au pied levé par Goteborg en Suède. Puis, il y eut moins de congrès lointains, et l'Europe fut alors prioritaire ce qui bien sûr ne favorise pas les pays du sud malgré les nombreux systèmes de bourses. Les prestations offertes aux congressistes ont été réduites comme peau de chagrin, les limitant au strict minimum (le prix de l'inscription lui ne baisse pas), alors que les festivités en faisaient aussi le charme.
Bien sûr, les temps ont changé : cela évitera de parler de "bibliotourisme"... et permettra de se concentrer sur le programme intellectuel du congrès. Mais faut-il pour cela accepter le financement et la tenue du congrès à Dubaï, la ville la plus superficielle et ininterréssante qui soit à l'heure actuelle, où ce qui prime est le monde de l'argent, des influenceurs et des réfugiés de haut vol ? Au plan culturel, cette ville a très peu à offrir Les grandes villes du monde arabe ne manquent pourtant pas : Casablanca, Alexandrie, Le Caire, Alger, Tunis, ou en Afrique, Dakar. Mais bien sûr l'argent leur manque.
L'autre question posée est celle des droits humains (ceux des LGBTQ+ notamment et les droits des femmes), et même si des garanties ont été avancées, il est peu probable que la société dubaïote change du tout au tout pour recevoir les bibliothécaires. Ne tenir les congrès de la Fédération que dans les pays de l'Hémisphère Nord est une autre question, car cela désavantage le reste du monde, et la Fédération ne remplit pas un de ses principes fondamentaux.
Il y a de nombreuses réactions d'associations nationales s'opposant à Dubaï 2024, avec des arguments très justifiés. La présidente de l'IFLA répond avec d'excellents arguments. La politique est donc rentrée dans le monde des bibliothèques, mais ce n'est pas la première fois : la tenue du congrès à Jérusalem en 2000 avait vu la non-participation de tous les pays arabes ; celui de La Havane avait vu les balseros en 1994 ; et en 1991, le summum fut atteint avec le putsch qui eut lieu à Moscou le jour de l'ouverture du congrès...
Nul doute qu'il y aura encore de nombreuses discussions, notamment à Rotterdam en août prochain.
Jean-Philippe Accart
PS: vous pouvez retrouver les comptes rendus des congrès de l'IFLA auxquels j'ai assisté depuis 1991 sur cette page
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