La Profession
(2003) - Les défis de demain pour la profession.
Arbido, 2003, avril, n° 4, pp. 15-16.
1. Quels sont selon vous les événements qui ont le plus marqué la profession du spécialiste en information documentaire (et/ou bibliothécaire)
Depuis une vingtaine d’années, plusieurs facteurs d’évolution, qui sont autant « d’événements », ont marqué nos métiers : les facteurs culturel, technologique, économique et organisationnel.
Les facteurs culturels
A l’élévation du niveau culturel général de la population a correspondu l’allongement de la durée des études : les bibliothécaires ont dû s’adapter, proposer des ressources en plus grand nombre et de qualité. La multiplication de l’accès à l’information dans la vie personnelle et professionnelle constitue également un défi à relever pour la profession : une bibliothèque, un service de documentation doivent proposer des collections et des médias diversifiés pour répondre aux besoins de lecteurs exigeants.
Les facteurs technologiques
Parmi ceux-ci : l’informatisation croissante ; le développement des logiciels documentaires, des réseaux de télécommunications et d’Internet ont permis de mettre en place des fonctions avancées de traitement, de recherche et de diffusion de l’information. Cependant, les bibliothécaires ne sont plus les seuls interlocuteurs pour trouver l'information recherchée car les utilisateurs ont désormais un accès direct à l’information.
Les facteurs économiques
L’information est devenue un bien économique : le coût des services obligent à une gestion rigoureuse des ressources documentaires, à une mise en commun au niveau national (développement des réseaux documentaires, des portails d’information) tout en conservant le souci du partage des domaines.
Enfin, les facteurs organisationnels avec la délocalisation, la décentralisation de la décision, la circulation de l’information, les échanges de savoirs. L’information est devenue stratégique.
2. Quels sont les défis les plus difficiles qui vont influencer notre profession maintenant et pour l'avenir?
Tout en gardant ses bases traditionnelles, le métier est de plus en plus conditionné par la technologie et les réseaux. Il faut cependant avoir à l’esprit que, pour l’utilisateur, le repérage, l’accès et l’utilisation de l’information restent des problèmes majeurs et donc les questions au cœur du métier sont toujours aussi sensibles et représentent des défis pour l’avenir et la crédibilité de notre profession : à savoir, l’orientation, l’accès, la validation et le coût de l’information. On attend des professionnels une forte valeur ajoutée par rapport à l’information traitée, une expertise, une capacité d’anticipation.
3. En ce qui concerne les prochaines années, quelles sont les évolutions que vous attendez ? que vous craignez ?
Les évolutions attendues : une plus grande intégration au sein des entreprises et des institutions me paraît être un défi important à relever ; et également trouver une meilleure interaction entre l'utilisateur, la "machine" et le produit, donc donner plus de sens à l'information. Ce deuxième aspect est essentiel.
Les évolutions à craindre : elles découlent de certains facteurs décrits précédemment : par exemple, le fait de se refermer sur la technique envahissante et donc que la technologie ait un trop grand poids par rapport à l'ensemble du métier. Egalement, le fait d’être trop soumis aux contraintes économiques peut revêtir des aspects très négatifs, comme de renoncer à la gratuité des bibliothèques ou au développement des réseaux.
4. C'est un mythe que nous sommes dans le siècle de l’information, nous y sommes juste entrés. Que pensez-vous de la phrase suivante : "Our ability to move information far exceeds our ability to create meaning and understanding." (Bill Jensen: Simplicity), c'est-à-dire : quelles sont les limites de la capacité humaine (et du "knowledge worker") de gérer et de digérer les informations/savoir nécessaires pour effectuer une fonction de business dans l'entreprise ?
Cela fait partie du défi dont nous parlions auparavant. La particularité de notre métier est d’apprendre à gérer l’information. La technologie constitue une aide, un outil que nous nous sommes appropriés, et même si ce n’est pas encore parfait, les avancées en matière de stockage et de traitement de l’information sont importantes (nouveaux moteurs de recherche, traitement automatique du langage et des données). Le spécialiste de l’information documentaire est une pièce centrale pour savoir utiliser ces technologies, retrouver l’information pertinente et lui donner du sens.
5. Comment considérez-vous la convergence des disciplines (bibliothèques, documentation, archives)
Elle est nécessaire, souhaitable (et parfois réalisée dans les faits) car ces disciplines sont très proches, utilisant des techniques souvent identiques. Nous avons tous intérêt à nous reconnaître dans une discipline, les sciences de l’information : l’image du métier n’en serait que meilleure auprès du public, des institutions et des décideurs. L’éparpillement des formations ajoute à la confusion, ce qui est d’ailleurs le cas en France où plus d’une centaine de formations existent dans le seul domaine de la documentation ! Comment un étudiant peut-il s’y retrouver et à plus forte raison un employeur ? Les Britanniques l’ont compris, puisqu’ils viennent de créer une association unique pour toutes ces professions, CILIP, qui rassemblent plus de 23 000 professionnels : cet exemple peut donner à réfléchir.
6. Quels sont les champs professionnels les plus intéressants pour le futur? Vous avez déjà publié des articles sur "la documentation hospitalière" qui me parait un secteur (industrie de santé) porteur d’un grand potentiel pour la documentation et surtout la GED, voir "genomics" et biotechnologie. Est-ce que vous voyez d'autres secteurs qui se développent dans cette direction?
Un des principaux atouts de notre métier est de pouvoir l’exercer dans des branches très diversifiées. Pour répondre à votre question, l’industrie de santé est un secteur d’avenir passionnant, que ce soit la pharmacie, la médecine, les biotechnologies, le milieu hospitalier, les soins infirmiers. Le besoin d’information est énorme. D’autres secteurs sont très porteurs : les technologies de pointe, les télécommunications, la grande industrie, les cabinets de consultants, le domaine juridique. Et il ne faut pas oublier l’administration qui commence à comprendre ce que peuvent apporter nos métiers. Enfin, le domaine associatif (les ONG notamment) est à considérer.
7. Quel rôle peut jouer le spécialiste d'information documentaire dans ce cadre d'une future société d'information ? N'est-il pas surpassé par l'évolution de la technologie d'information et les possibilités de la recherche directe du "end-user"? Citation pour illustrer ce propos: "It's humbling to acknowledge that online isn't wholly owned by information professionals. You don't need a library degree to be an expert searcher. Conversely, possession of a library science degree doesn't guarantee you're an expert searcher. The character of library research is changing. Everyone with access to a computer considers themselves online researchers. Subject experts may even have better bookmark lists than their librarians”. (Ojala, M.: Rediscovering New Skills and Changed Roles, in Online vol. 26, Nr. 6, Nov/Dec 2002)
Quand j’enseignais à l’Université de Grenoble, mes étudiants avaient la même remarque. Ma réponse est simple : oui, l’utilisateur peut être un expert en recherche d’information, mais le spécialiste d’information documentaire peut lui apporter un autre type d’expertise. Celle qu’il a apprise durant sa formation et celle acquise durant sa vie professionnelle. Deux expertises sont plus intéressantes à confronter par rapport à un sujet de recherche qu’une seule. Des études ont été réalisées sur ce sujet, et il apparaît que maintenant, les utilisateurs reviennent dans les bibliothèques et les services de documentation car ils sont débordés par l’information. La tendance constatée avec le développement d’Internet s’inverse.
Par rapport à la société de l’information, le bibliothécaire (ou le spécialiste de l’information documentaire) doit avoir à l’esprit qu’il fait partie des travailleurs du savoir, dans une société qui a besoin de balises et de repères par rapport à l’information : ce sera son rôle et sa contribution à la société de l’information.
cop. JP Accart, 2007
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