Analyses d'ouvrages

2000: La Valeur de l'information : entre dette et don. Critique de l'économie de l'information

milonpar Alain Milon ; postface de Claude Baltz
Paris : Presses universitaires de France, 1999. VIII-232 p.
(Sociologie d'aujourd'hui, ISSN 0768-0503)
ISBN 2-13-049840-3 : 149 FRF : 22,71 euros

MAITRE DE CONFERENCES à l'université de Versailles, Alain Milon est l'auteur de plusieurs ouvrages sociologiques sur l'art de la conversation, la communication ouverte, l'art musical (le rap) et graphique (le graff mural, les ex-voto marins). Le dernier s'attache à développer une critique de l'économie de l'information. Cette analyse est une réponse aux nombreux ouvrages paraissant sur ce sujet, qui décrivent avec force arguments la valeur de l'information. C'est donc un discours neuf qu'il nous est donné de lire sur l'économie de l'information, thème dont il semble y avoir plus de défenseurs que de contradicteurs. Alain Milon se situe dans ce dernier courant. Son approche est universitaire et c'est un véritable travail d'étude et de recherche qu'il nous livre ici.

L'information et la communication ont donné matière à de nombreux écrits et théories plus célèbres les unes que les autres. L'auteur, appuyant son propos sur de nombreuses citations et références allant de la sociologie à l'histoire et à la philosophie, pose la question de la place réelle de l'information par rapport à la communication. Les Encyclopédistes s'interrogeaient déjà sur le fait de savoir " si l'information pouvait se définir comme une ressource naturelle ". Existe-t-elle en dehors de la communication ? Se référant à la manière dont l'information est transmise physiquement (en informatique, en physique, grâce à la technologie actuelle), l'auteur questionne également la philosophie et la politique. Le rapport de l'information au temps est analysé pour mieux faire comprendre sa " dématérialisation ". Les conséquences de celle-ci sur l'économie sont décryptées : remise en question de la notion traditionnelle de travail, de l'organisation même du travail dans nos sociétés, bouleversement de l'entreprise. L'existence d'une information immatérielle doit s'accompagner d'une " formation à l'information ".

La valeur d'un produit se mesure de manière quantitative. Le principe de l'échange est prédominant, avec l'apparition du marché et du marchand. La notion d'économie de l'information a modifié ce rapport, notamment au sein de l'entreprise, car l'information est traitée dans un but stratégique. Une information n'a de valeur que si elle est recoupée avec d'autres informations. Le partage devient une " nouvelle forme d'activité ".

La valeur est définie d'un point de vue éthique, puis économique, avec les sens différents que revêt ce terme selon les théories d'économistes tels que Pareto, Walras ou Jevon. L'appropriation et l'échange déterminent encore et toujours la valeur. Cependant, il existe une réelle différence entre la valeur marchande d'un bien et la valeur non marchande de l'information qui repose sur " l'opposition entre la logique de préférence et celle de la différence ". Après un chapitre intitulé " Marchandise, information et valeur ", où de nombreux théoriciens sont cités en référence (Adam Smith et Karl Marx notamment) sur la valeur du travail, une soixantaine de pages nous éclairent sur la valeur immatérielle de l'information.

Avec à l'appui les thèses de Ricardo (l'information en tant que connaissance du marché et des marchandises) et de Simon (la prise de décision dans l'organisation), une question est posée : " l'information est-elle un produit du marché qui obéit au principe de l'offre et de la demande ? " Ce qui revient à s'interroger sur le sens d'une économie dite immatérielle, puisque l'information ne peut être mesurée et qu'une valeur ne peut lui être attribuée. La théorie de l'analyse de la valeur n'a toujours pas réussi à " modéliser qualitativement la valeur de l'information ". Avec les écrits d'Anne Mayère et les publications de l'ADBS sur ce sujet, l'information retrouve une valeur d'usage (propre à une économie des services) car elle est considérée comme " bien public " et qu'une véritable industrie de l'information est née.

Les réseaux ouverts que nous connaissons actuellement posent avec acuité la question de la valeur d'une information immatérielle. Est-elle un " don ", comme l'envisage le titre de cet ouvrage ? Où une " dette " (ce qui sous-tend la notion de " contrat ") ? Sa valeur est-elle " nulle " ? L'information, bien immatériel, ne peut s'approprier ; elle s'échange, et c'est dans cet échange qu'elle trouve une " valeur escomptée ", selon la propre conclusion d'Alain Milon.

Cet ouvrage pose donc de vraies questions sur la valeur de l'information, un sujet communément admis par les professionnels de l'information. L'analyse de l'auteur est sous-tendue par un important travail de recherche qui donne à cet ouvrage tout son sens. De ces pages denses et fournies, où abondent les citations d'écrivains, de romanciers, de philosophes, d'historiens et d'économistes, se dégage une réelle impression de doute par rapport au discours actuel sur l'information et sa valeur. Un certain nombre d'éléments de réflexion sont ainsi proposés au lecteur, pour l'aider à mieux appréhender cette question complexe, mais essentielle à l'heure de la société de l'information.

Critique parue dans Documentaliste, sciences de l'information, 2000, vol. 37, n° 1, pp. 67-68.

Cop. JP Accart, 2007

 

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