Analyses d'ouvrages
2001: Terminologie et documentation : pour une meilleure circulation des savoirs
par Maryvonne Holzem
Paris : ADBS Editions, 1999. 292 p.
(Collection Sciences de l'information. Série Recherches et documents).
Bibliogr., index.- ISBN 2-84365-032-1
Maryvonne Holzem est maître de conférences en sciences du langage à l'Université de Rouen et nous livre une version réduite de sa thèse en doctorat soutenue en juillet 1997 et intitulée : Apports des recherches en terminologie à la communication des sciences.
Quoi de plus naturel pour un professionnel de l'information et de la documentation de s'intéresser aux mots, à leur définition, leur classement, leur utilisation ? N'est-ce-pas ce qui constitue le cœur même du métier ? Cette vision est certes traditionnelle, mais elle est toujours d'actualité, notamment par rapport aux réseaux de l'information. Tout professionnel s'interroge quotidiennement sur l'emploi de tel ou tel terme plutôt que tel autre, sur le contexte dans lequel celui-ci est utilisé : selon son domaine d'activité, il emploiera certains termes qui auront un sens précis. Une des difficultés du métier repose donc sur le vocabulaire d'un domaine spécifique et son appropriation. Cette difficulté se retrouve à chacune des étapes du travail documentaire, pour la saisie et l'indexation des documents, mais également pour la recherche d'information. L'exacte adéquation entre un domaine et la terminologie employée participe à l'évidence à " une meilleure circulation des savoirs ".
L'étude d'un vocabulaire, d'une terminologie fait appel à la linguistique afin d'en saisir toutes les nuances, mais également au contexte particulier dans lequel il est employé. Maryvonne Henzelm décrit dans cette étude scientifique les rapports étroits existant entre la terminologie et la documentation. Elle resitue le contexte particulier qui a prévalu à la communication des sciences et débute son étude au XVIIIème siècle, siècle où les avancées scientifiques nombreuses ont eu des retentissements importants sur la société : les découvertes de savants tels Parmentier, Watt, Fourier, Laplace, Lavoisier et de beaucoup d'autres font alors pressentir clairement l'influence de la science sur le progrès social. Cette thèse sera ensuite développée par la philosophie positiviste incarnée par Auguste Comte : le savoir doit être organisé selon un système encyclopédique et donc classifié. Si le XIXème siècle voit le rapprochement des sciences et techniques, le XXème siècle est celui de l'âge de la science et de la recherche scientifique. L'auteur souligne avec justesse que le développement spectaculaire des sciences s'accompagne d'une culture du secret qui va à l'encontre de la diffusion de l'information, les enjeux économiques et industriels étant trop importants. Elle discerne un antagonisme entre le monde industriel et la société démocratique. Malgré les différents moyens employés pour une vulgarisation de la science vers le grand public, ce dernier est sous-informé, l'information appartenant aux élites de la société. La question de la terminologie employée (par rapport à une discipline, aux normes) se pose également pour la communauté scientifique dans son ensemble. Dans le même temps, on assiste à une augmentation considérable des publications scientifiques et à l'accélération des transferts de l'information. L'utilisation d'une seule langue de communication scientifique, l'anglais, l'approche commerciale qui fait se rejoindre chercheurs et éditeurs sont autant de composantes essentielles du paysage qu'offre la science aujourd'hui.
La philosophie positiviste déjà évoquée précédemment mettait en avant la nécessité de classifier le savoir, pour mieux le diffuser ensuite. Le rêve de la bibliothèque mondiale du précurseur de la documentation Paul Otlet qui se traduit par le développement des techniques documentaires est à mettre en parallèle avec l'évolution des sciences. Le terme " documentation " est dorénavant associé à la notion de " sciences de l'information " qui apparaît plus adaptée à la réalité économique. Du concept de pertinence (cher aux documentalistes) étudié à partir des années 1960 découle de nouvelles sciences telles la bibliométrie, la scientométrie (qui traitent l'information grâce à des outils statistiques) et la veille technologique (qui voit les techniques documentaires détournées au profit du renseignement concurrentiel).
L'étude des classifications montre un rapprochement entre la terminologie et la documentation. Depuis le XVIIème siècle, avec le philosophe Francis Bacon puis Leibniz, Condorcet et enfin avec Diderot et d'Alembert, le souci d'organiser le savoir humain est une préoccupation constante. Des grandes classifications voient le jour au XIXème siècle : la classification bibliographique de Brunet ; la classification décimale Dewey (au détriment de la Classification décimale universelle) ; et au XXème siècle avec : la Colon Classification de S.R. Ranganathan (classification à facettes), la Classification of the Library of Congress (LC) en 1901, et enfin, après 1945, les classifications russe, la BBK, et chinoise, la Chinese Documentation classification (CDC) . Ces classifications adoptent quelques grands principes fondamentaux par rapport à l'organisation des connaissances : un système universel, un découpage disciplinaire, l'adoption des arborescences, la représentation des termes par des notions et/ou concepts et les rapports possibles entre ceux-ci.
Les notions ou les concepts d'une classification sont traduits par une même entité : un terme, un mot-clé, un descripteur, une vedette-matière. Ils permettent de construire des terminologies, des thésaurus ou des listes d'autorité qui ont chacun des utilisations propres. Cependant, l'élaboration d'un thésaurus se rapproche de celle d'une terminologie notamment par son homogénéité. Certaines règles doivent être suivies pour l'établissement d'un mot-clé comme le rejet des ambiguïtés, l'unicité du terme retenu, son autonomisation et sa décontextualisation, même si cela entraîne un appauvrissement sémantique certain.
L'indexation d'un document, c'est-à-dire l'attribution de mots-clés qui rendent compte de son contenu, est une opération essentielle en documentation. Le documentaliste devient alors médiateur, l'indexation étant vue comme " acte de reformulation objective ". De nombreuses recherches ont été faites en indexation automatique ; l'auteur porte son attention sur le langage SYNTOL (Syntagmatic Organization Language) ; sur l'expérience du Laboratoire d'automatique documentaire et de linguistique du CNRS ; elle étudie plus particulièrement une enquête d'Annick Bertrand concernant le langage RAMEAU et constate un rapprochement naturel entre terminologues et documentalistes.
La documentation, au fur et mesure des développements des recherches en intelligence artificielle, est devenue " un outil terminologique ", elle est indissociable de l'activité terminologique. Elle utilise les mêmes outils : normes, manuels, catalogues, vocabulaires, thésaurus, bibliographies, ...La " terminographie " (consignation, traitement et présentation des données terminologiques obtenues par la recherche terminologique selon la norme ISO 1087) correspond au travail d'indexation. Un outil commun peut être élaboré : le thésaurus terminologique.
Un exemple de communication scientifique particulier, celui des thèses, est alors étudié du point de vue de leur signalement dans les bibliothèques scientifiques selon le langage RAMEAU . Un dictionnaire BIOLEX a été élaboré et permet de mettre en évidence des néologismes présents dans les thèses.
En conclusion, Maryvonne Holzem insiste sur l'importance de la communication scientifique qui, de par la publication et la diffusion d'articles ou de thèses de plus en nombreux, est utilisatrice et conceptrice de termes ; sur la nécessité de créer des outils terminologiques et documentaires pour rendre compte de cette production ; et enfin, sur le rôle essentiel joué par les métiers de l'information dans cette médiation.
Critique parue dans Documentaliste, sciences de l'information, 2001, vol. 38, n°2, pp. 138-139.
Cop. JP Accart, 2007
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