Analyses d'ouvrages

2003: Méthodes et outils pour la gestion des connaissances

diengpar Rose Dieng-Kuntz, Olivier Corby, Fabien Gandon et al.
2e éd. Paris : Dunod, 2001. 372 p.
(Informatiques. Série Systèmes d'information).
ISBN 2-10-006300-6 : 37,50 €

Un ouvrage des plus complets sur la mémoire d'entreprise

LES NOMBREUX COLLABORATEURS DE CET OUVRAGE COLLECTIF sont issus de l'équipe de recherche ACACIA de l'INRIA à Sophia-Antipolis. Cette équipe est connue pour ses publications éclairantes sur la mémoire d'entreprise, sujet proche des préoccupations des documentalistes et des archivistes qui doivent résoudre les nombreuses questions ayant trait à sa conservation et à sa valorisation. La deuxième édition du présent ouvrage est dense, très construite, agrémentée de nombreux schémas explicatifs : elle présente la particularité d'être très technique et d'offrir en même temps une réflexion de chercheurs sur un domaine parfois complexe. Mais que le futur lecteur se rassure : ce n'est pas un ouvrage difficile d'accès, il est suffisamment clair et argumenté pour trouver son public.
Les chercheurs de l'équipe ACACIA travaillent depuis de nombreuses années sur la thématique de l'acquisition des connaissances. Leurs dernières observations en entreprise les conduisent à constater que celle-ci est maintenant préoccupée par la capitalisation de ses "connaissances cruciales", selon les propres termes de Michel Grundstein, un des théoriciens français actuels les plus intéressants de la gestion des connaissances. Ils nous livrent, dans cette publication, le fruit de leurs recherches dans de très grandes entreprises hexagonales telles l'Aérospatiale, Dassault-Aviation, l'INRETS ou Renault. Pour les néophytes, il est important de préciser que le concept de gestion des connaissances (knowledge management) est adopté surtout par ce type d'entreprise, car sa mise en œuvre nécessite des investissements importants que des PME ne peuvent envisager. Cependant, un grand nombre d'entreprises, dans des secteurs très divers, " font du knowledge management sans le savoir ", et le concept a tendance à être de plus en plus appliqué. Le phénomène n'est pas seulement un des effets de mode actuels (repris et amplifié par les revues spécialisées en management, en économie, puis par les revues en sciences de l'information et de la communication), mais une réelle préoccupation des dirigeants qui voient dans la gestion des connaissances une manière de manager différemment leurs équipes.

La première partie est consacrée à la mémoire d'entreprise

Le premier chapitre est une introduction explicative de l'ouvrage. Il expose de nombreux modèles de mémoire d'entreprises (les modèles de Jaspers, de Grundstein, de Nonaka) et retient une définition de la mémoire d'entreprise qui va conduire leur réflexion : "elle est la représentation persistante, explicite, désincarnée, des connaissances et des informations dans une organisation, afin de faciliter leur accès, leur partage et leur réutilisation par les membres adéquats de l'organisation, dans le cadre de leurs tâches." L'originalité de ce livre est que les auteurs proposent d'aborder la question selon un schéma qui repose sur le cycle de vie de la mémoire d'entreprise : la détection des besoins en mémoire d'entreprise ; la construction de celle-ci ; sa diffusion et son utilisation ; son évaluation et son évolution.
La détection des besoins en mémoire d'entreprise est rendue possible par l'analyse des besoins en mémoire : ceux-ci vont permettre de déterminer le type de mémoire nécessaire (mémoire de projet, métier, managériale, individuelle) ; puis de discerner les usagers de cette mémoire et les modes d'exploitation possibles adaptés à l'environnement de travail. Cette phase d'analyse est en réalité quasi constante, car de nouveaux besoins peuvent apparaître en cours de cycle.
La construction de la mémoire d'entreprise repose sur un certain nombre de techniques. La première citée est la mémoire documentaire avec l'exemple de la gestion électronique de documents ; une autre technique employée peut être l'emploi du standard XML, par ailleurs très détaillé dans une partie qui lui est consacrée. Les bases de connaissances, utilisant l'ingénierie des connaissances (méthodes CommonKADS, KOD, etc.) sont également abordées, ainsi que les bases de cas. Les collecticiels pour un meilleur partage des connaissances, les systèmes de workflow, les technologies du web sémantique (utilisant les documents, les ontologies et les annotations sur les documents) sont d'autres techniques. Les auteurs n'oublient pas que leur intégration dans l'environnement de travail implique des changements organisationnels : ils préconisent l'exploitation des outils qui existent dans l'entreprise, la difficulté consistant dans le fait que les techniques précitées entraînent d'importants bouleversements dans l'organisation du travail.
La diffusion et l'utilisation de la mémoire d'entreprise sont les deux phases suivantes du cycle. La diffusion exploite des technologies telles la messagerie électronique, un serveur de news, un serveur de connaissances, un portail d'entreprise, un intranet. L'utilisation de la mémoire signifie qu'il doit être possible de la consulter, d'offrir des moyens de recherche d'information. Le standard XML peut également être mis à contribution.
L'évaluation et l'évolution de la mémoire d'entreprise est certainement un des chapitres qui intéressera le plus les futurs lecteurs de l'ouvrage. C'est un des plus détaillés, qui expose diverses méthodes : l'approche " centrée sur les intéressés " ; les classifications de Lester et de Ramage pour les collecticiels ; l'évaluation heuristique ; les tests d'utilisateurs ; les expériences de laboratoires ; la méthode ethnographique d'Ehrlich et Cash... Des critères et mesures d'évaluation sont donnés pour la mémoire organisationnelle, le capital intellectuel. La maintenance et l'évolution de la mémoire sont les dernières phases du cycle : la mémoire est vue comme un système évolutif constant. L'importance pour l'entreprise de collecter, d'enregistrer les données sur ses activités est soulignée, et l'utilisation des registres électroniques est recommandée.

La deuxième partie expose des méthodes pour la mémoire d'entreprise

Une des difficultés majeures semble être la gestion de multiples points de vue dans la construction d'une mémoire à base de connaissances, surtout quand il s'agit de points de vue d'experts qui divergent.
La mémoire de projet se voit consacrer un chapitre entier. Le cycle d'un projet comprend plusieurs étapes et toutes ces étapes sont importantes à mémoriser pour l'entreprise. Les difficultés et problèmes en font partie intégrante. Une approche intitulée SAMOVAR est proposée ; elle concerne une mémoire de problèmes rencontrés lors d'un projet de conception d'un véhicule.
Les méthodes de capitalisation des connaissances sont nombreuses et détaillées dans de nombreux ouvrages. Parmi celles-ci, les méthodes REX, MKSM, CYGMA, MEREX, FRAMEWORK, COMMONKADS, KOD sont reprises ici et étayées de nombreux exemples applicatifs qui démontrent leur efficacité. Ce livre s'achève avec un retour d'expérience du projet ACACIA, projet construit pour offrir des aides méthodologiques à la mémoire d'entreprise. Une bibliographie conséquente permet de constater l'étendue du travail de recherche entrepris.
Un ouvrage aussi complet sur la mémoire d'entreprise est unique dans la production éditoriale actuelle. Il doit figurer en bonne place dans toute entreprise et dans toute documentation d'entreprise. Sa richesse en termes de méthodes proposées et d'exemples est à souligner. Documentalistes et archivistes trouveront de nombreuses solutions à leurs problèmes, ils pourront s'en inspirer pour proposer à leur direction des méthodes éprouvées et efficaces de gestion de la mémoire d'entreprise.

Critique parue dans Documentaliste, sciences de l'information, 2003, vol. 40, n° 1, pp. 51-52.

Cop. JP Accart, 2007

 

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