Analyses d'ouvrages

2004: La Navigation

images10sous la dir. de F. Ghitalla
Paris : Hermès science publications : Lavoisier, 2002.
Les Cahiers du numérique, 2002, vol. 3, n°3.

La revue Les cahiers du numérique poursuit, pour notre plus grand intérêt, son étude du Web avec ses multiples ramifications (visibles ou invisibles), les interconnections possibles avec des disciplines telles que les sciences cognitives, les nombreuses interrogations qu’il suscite sur sa couverture et son efficacité en terme de recherche d’information. Le thème de la navigation sur Internet est récurrent, il est sans cesse remis au goût du jour par les avancées des moteurs de recherche dont il est impératif de suivre les évolutions. Qu’en pensent réellement les chercheurs ? Pour répondre à cette question, le coordinateur de ce numéro, Franck Ghitalla, de l’Université de technologie de Compiègne, a rassemblé une quinzaine de chercheurs qui explorent tour à tour la page Web, l’organisation visuelle d’un site ou l’hypertexte. Il va sans dire que pour des utilisateurs réguliers d’Internet, ces différentes approches apportent un autre regard sur un espace virtuel parfois complexe.

Dans son introduction, F. Ghitalla rappelle que la navigation est un terme métaphorique mais qu’il ne doit pas être réduit à « un travail purement logique sur les mots, les concepts ou les opérateurs » : son observation est à la fois technique (construction du « sens »), sociale (capitalisation et échange) et géographique (orientation dans des univers documentaires). Une des découvertes majeures de l’informatique et d’Internet en particulier depuis une cinquantaine d’années est le fait d’associer une localisation à des données, de faciliter la recherche de documents grâce aux hyperliens. En ce début de XXIè siècle, une nouvelle topologie documentaire se fait jour sous nos yeux, nous redécouvrons « les principes fondamentaux des architectures techniques que sont la page, le livre ou la bibliothèque ». Un questionnement apparaît en filigrane de ce numéro : la navigation est-elle une nouvelle figure de la lecture ?

Dominique Cotte (Université de Lille 3) s’intéresse au comportement des néophytes (en réalité un groupe de stagiaires lors d’un cours sur la recherche d’information sur Internet) devant la page Web, à la lumière des enseignements tirés des usages du Minitel il y a une dizaine d’années : souvent désorientés, ces néophytes du Web manquent de maîtrise par rapport à ce qu’ils voient ou consultent, ils sont déconcertés par l’ « empilement » des informations proposées. Guy Barrier (Université de Limoges) étudie l’organisation visuo-graphique et la navigation sur les sites Web, avec comme exemple le site Bouygues.fr : à partir du tracking ou suivi du comportement des internautes, il utilise la démarche user centric, c’est-à-dire les interactions entre le support (la page d’accueil avec ses différentes zones dites « saillances expressives ») et la réactivité de l’utilisateur. Franck Ghitalla et Charles Lenay (Université de technologie de Compiègne), à partir d’études démontrant les difficultés des usagers par rapport à la navigation, nous aident à comprendre l’importance de l’activité critique que sont l’analyse, la comparaison, la mémorisation. Le Web est un territoire à arpenter à l’aide de repères géographiques.

Avec Serge Bouchardon (Université de technologie de Compiègne), nous abordons l’aspect cognitif du Web : le lien hypertexte, prenant une valeur elliptique, apparaît comme un élément essentiel du récit narratif interactif. Le récit est reconfiguré, la navigation d’un fragment à l’autre se fait de manière systématique grâce à des liens. Prenant notamment comme exemple NON-roman de Lucie de Boutiny (http://www.synesthesie.com/boutiny), il dresse une typologie des liens : méta-narratif (paratexte), narratif (suite ou fragment du récit), péri-narratif (commentaire, explication du narrateur), extra-narratif (accès au « hors-récit). Patricia Julia (Université de Montpellier 3) poursuit la même démarche et propose une typologie des modes de navigation s’appuyant sur des caractéristiques sémantiques, techniques et topologiques. Sylvie Leleu-Merviel (Université de Valenciennes) s’intéresse, quant à elle, à la navigation vue comme une source de la révolution numérique qui touche le document et les espaces documentaires : elle dresse tout d’abord un panorama du concept traditionnel de document, puis étudie les effets de la numérisation (organisation de nouveaux espaces, création d’espaces « transitionnels » tel le portail d’information, accès à une liberté de lecture). Une nouvelle génération de documents émerge, est mise en scène et l’auteur évoque alors la notion de dramaturgie.

Mais la navigation concerne d’autres objets que le document : c’est ce que tend à démontrer Gabriel Gallezot (Université de Nice) qui voit dans les banques de données de séquences génomiques disponibles sur Internet la possibilité de produire des concepts nouveaux en génomique : la navigation dans des corpus de données textuelles et factuelles apparaît comme source de créativité. Hughes Vinet (IRCAM) prend comme exemple, et c’est à souligner car la synthèse qu’il réalise est originale, la navigation dans les bases de données musicales et propose les approches existantes en matière d’interfaces de navigation.

Cette réflexion entreprise sur la notion de navigation ne serait pas complète sans faire état des dispositifs expérimentaux existant : David Piotrowski et Marc Silberstein (CNRS) détaillent pour nous le prototype HyperCB soit les principes, l’architecture et les fonctionnalités de l’hypertexte. Ils précisent qu’en parlant de la notion d’hypertextualité, il est nécessaire de distinguer ce qui relève d’une part de la circulation et d’autre part, de l’interprétation. Le prototype HyperCB structure des données, dégage des notions interrogeables grâce à une interface. Andrea Iacovella (Ecole française d’Athènes), à partir du projet Porphyre, expose un modèle de navigation dans des corpus documentaires. L’étude de l’activité d’une communauté d’experts appelée à partager ces corpus (publications, bibliothèques, archives) a permis de dégager des profils, de les cartographier, d’établir des plans de navigation et de construire un modèle pour les experts. Enfin, Eric Lecolinet et Stuart Pook (Ecole nationale supérieure des télécommunications) s’intéressent aux bases de données de grande taille qui posent le problème de la localisation des données.

A la lecture de ce qui précède, la première remarque qui vient à l’esprit est la multiplicité des aspects qui sont étudiés par rapport à la navigation sur le Web : ce numéro est un excellent reflet de la réalité actuelle et des interrogations qu’elle engendre. Il est composé de telle manière que, même si certaines contributions peuvent apparaître ardues (il ne faut pas oublier que les auteurs sont des chercheurs), l’intérêt va croissant. La complexité engendrée par le Web, les nombreuses interrogations qu’il suscite trouvent des réponses appropriées, illustrées d’exemples ou de projets en cours d’expérimentation. Plongés dans une réalité quotidienne qui ne nous rend pas toujours lucides sur les évolutions, il est bon d’avoir des éclairages et des points de vue autres par rapport au Web.

Critique parue dans Documentaliste, sciences de l'information, 2004, vol. 41, n° 1, pp. 60.

Cop. JP Accart, 2007

 

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