Analyses d'ouvrages
2005: L’Edition électronique. De l’imprimé au numérique : évolutions et stratégies
Lise Vieira
Pessac : Presses universitaires de Bordeaux, 2004.
188 p. – Bibliogr.
(Coll. Labyrinthes).
ISBN 2-86781-342-5 : 28 €
Le monde de l’édition, comme le monde de l’imprimé en général, subit une transformation profonde avec l’arrivée des technologies de l’information (il y a peu encore de nombreux éditeurs refusaient ou rejetaient toute solution numérique). A cela s’ajoutent les interférences avec le monde économique et avec la globalisation qui touchent de près les groupes éditoriaux, de petite ou grande taille. Les conséquences sur les bibliothèques et les services de documentation, en termes de gestion des collections ou de finances, sont importantes. D’aucuns se posent la question du devenir de l’édition ou de celui de l’archivage électronique. Il est donc nécessaire de prendre un peu de recul afin d’y voir un peu plus clair. L’ouvrage que nous propose Lise Vieira est à cet égard exemplaire : chercheur en sciences de l’information (l’auteur est maître de conférences HDR à l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3), elle a pour thème de prédilection l’édition et son évolution tout en considérant les aspects sociaux et culturels des technologies de l’information et de la communication. Cet ouvrage est le reflet vivant de ses recherches sur l’édition imprimée et l’édition électronique, avec une volonté de comprendre et d’expliquer les nouvelles stratégies éditoriales qui se dessinent sous nos yeux.
L’ouvrage est divisé en quatre parties, avec une première partie consacrée à l’histoire de l’édition imprimée : la situation actuelle de l’édition est analysée en détail avec un focus sur les phénomènes parallèles d’hyperconcentration (quelques grands groupes mondiaux se disputent dorénavant le terrain de l’édition) et d’atomisation (le nombre de petites maisons d’édition s’accroît). D’autres phénomènes sont cités en exemple : l’information scientifique et technique est bien entendu touchée de plein fouet (la plupart des périodiques électroniques scientifiques sont entre les mains de quelques groupes) ; les ressources d’information sont de plus en plus délocalisées ; le document fait l’objet de toutes les attentions, surtout de la part des chercheurs en sciences de l’information : le document numérique est dit « document intelligent » grâce aux nombreuses possibilités qu’il offre en terme d’ajout, de correction, de transformation et d’échange. Il en découle une crise certaine de l’édition scientifique imprimée dans un contexte de concurrence accru et qui semble ne pas avoir de fin, pénalisant la diffusion de la culture scientifique française et le monde des revues scientifiques.
La deuxième partie de l’ouvrage s’attache en détail à « l’avènement du numérique » : avec l’émergence de la société de l’information, l’édition électronique se définit de plusieurs manières, les usages du numérique semblent infinis et les différents supports - fixes ou sur réseaux – de plus en plus nombreux. Les théoriciens critiques sont mis à l’honneur (tels Pierre Lévy, Armand Mattelart, Dominique Wolton ou Philippe Breton) dans un chapitre « Approche critique des TIC et tendances éditoriales » ; certains freins sont avancés (techniques, psycho-sociologiques). Dans ce contexte tumultueux, l’édition française doit se repositionner. Un des plus grands éditeurs actuels (si ce n’est le plus grand), l’éditeur Elsevier est étudié. Ainsi, le modèle économique traditionnel qui a longtemps perduré est maintenant mis à mal, remplacé par un nouveau modèle économique en lien direct avec la diffusion de l’information sur les réseaux. L’édition électronique subit donc un véritable « Big Bang » : c’est l’idée qui sous-tend la troisième partie « Vers une gestion intelligente de l’information ». De nouvelles formes éditoriales émergent : les moteurs et métamoteurs, les technologies Pull et Push, les livres sur Internet, les revues et les livres électroniques. « Les civilisations occidentales sont à l’aube d’une ère nouvelle en ce qui concerne l’organisation des connaissances » : les données électroniques sont mises en réseau ; les liens hypermédia se développent avec les notions de transversalité, d’inter- relation et de convivialité ; multimédia et communication se conjuguent.
« Enjeux et stratégies » constituent la quatrième et dernière partie qui soulève en même temps de nombreuses questions : l’usager de la société de l’information est-il consommateur ou acteur ? Quelle est la part de l’innovation ? L’édition est contrainte d’innover en permanence : par rapport aux services existants ; dans les processus de production des prestations ; en créant de nouveaux services. Les politiques européennes en matière d’édition sont ensuite expliquées. La technologie numérique est complexe et difficile à gérer. Toute la difficulté repose sur les choix à opérer pour le futur, tant les possibilités, les usages apparaissent nombreux. La conclusion, ouverte sur « la construction d’un nouvel humanisme », reprend une citation de Philippe Quéau : « Le réel et le virtuel ne peuvent plus être séparés : ils se complètent et s’expliquent l’un par l’autre ». L’ouvrage de Lise Vieira prend en compte de nombreux aspects à la fois historiques, philosophiques et cognitifs, ce qui rend sa lecture très vivante et à maints égards, passionnante.
Critique parue dans le Documentaliste, sciences de l'information, 2005, vol. 42, n° 1, pp. 68-69.
LinkedIn