Analyses d'ouvrages

2005: Livres en feu : histoire de la destruction sans fin des bibliothèques

polastronLucien X. Polastron
Paris : Denoël, 2004
430 p. - ISBN 2-207-25573-5 : 22 €

Si vous entendez parler de destructions d’ouvrages ou de bibliothèques, surtout n’hésitez pas à en informer Lucien X. Polastron (X. pour Xavier) qui semble disposer d’un réseau dense d’information sur le sujet à l’échelle mondiale. Ceci n’est pas une boutade, car lors d’une conférence donnée par l’auteur lors du dernier Salon du livre de Genève à l’invitation de la Bibliothèque nationale suisse, celui-ci a affirmé se tenir au courant de toute destruction ou tout dommage subi par une bibliothèque de par le monde. La première réflexion qui vient à l’esprit à la lecture de « Livres en feu… » est : pourquoi s’intéresser à un tel phénomène ? Qu’est-ce que ce catalogue de destructions apporte à l’histoire des bibliothèques par rapport à ce que nous savons déjà ? Cet intérêt un peu surprenant pour un tel sujet vient certainement du parcours de l’auteur, issu d’une tradition très française de lettrés sinisant et arabisant, qui l’a amené tout naturellement vers le monde des bibliothèques. Spécialiste de la calligraphie, il a publié en 1999 Le Papier, 2000 ans d’histoire. Du papier à la bibliothèque, il n’y a donc qu’un pas, allégrement franchi, mais sous un angle inattendu, celui de leur destruction.

Dans un court « avant-texte », R. X. Polastron donnent les raisons de certaines de ces destructions, ce qui en soi justifie en partie l’écriture d’un tel ouvrage : détruire le savoir pour mieux gouverner (Chine ancienne, Allemagne de l’époque nazie…) ; l’invasion de nouveaux territoires (Empire aztèque…) ; la mise en danger du pouvoir politique en place. D’autres raisons existent, encore moins avouables que les précédentes, tel le pillage culturel de pays colonisés (notamment la France au Vietnam, en Egypte ou en Italie) avec la question lancinante de la restitution des biens culturels « empruntés ».

Le cœur de l’ouvrage - qui en constitue la partie la plus fournie soit plus de 300 pages - est bien sûr consacré à l’histoire des destructions des bibliothèques. Pour cela, l’ouvrage est divisé selon les différentes périodes de l’histoire de l’humanité avec le développement des multiples supports de l’écriture (terre cuite, plaque d’argile, papyrus, parchemin, parmi tant d’autres) et, concomittant, celui des bibliothèques durant l’Antiquité, en terre d’Islam, en Asie et en Occident chrétien. Vient ensuite la période moderne.

La Mésopotamie, et l’Assyrie en particulier - avec Assourbanipal et sa bibliothèque en sumérien - apparaît comme le berceau des premières bibliothèques. Viennent ensuite l’Egypte et la bibliothèque d’Alexandrie, puis le monde classique avec Athènes, Rome et Constantinople. L’islam n’est pas laissé de côté. Des noms surgissent, présents dans les mémoires : Cordoue et son rayonnement intellectuel et religieux sur le monde arabe ; al-Mansur qui brûla la bibliothèque des califes ; Haroun al-Rashid qui fit traduire les œuvres de l’Antiquité ; Le Caire et ses bibliothèques juives ; Bagdad et ses 36 bibliothèques.

L’Asie tient une place importante : la Chine a une tradition des bibliothèques qui remonte au 14è siècle avant notre ère, avec parfois des mesures radicales : si l’on brûle les livres, il arrive que l’on enterre vivants les lettrés ! Si l’Inde est aux sources du savoir, le Japon manie le sabre et le pinceau ; mais c’est surtout le feu qui semble être le pire ennemi des livres en dévorant les bibliothèques construites en bois.

L’Occident chrétien est évidemment plus proche de nous : l’Inquisition en Espagne catholique est connue pour ses autodafés ; les collections du palais de l’Escurial furent en grande partie détruites par un gigantesque incendie (il ne resta plus que 1824 manuscrits arabes sur 8000). La découverte de l’Amérique fut également une période de destruction d’ouvrages, notamment les codices aztèques. Ces ouvrages, faisant souvent référence à la magie, étaient jugés dangereux. Le Moyen-Age ne fut pas en reste : outre les conditions très précaires de préservation de précieux manuscrits dans les monastères, il faut compter avec les invasions, les guerres et les pillages. L’Angleterre obtient une très mauvaise note, cela étant dû à ses rois successifs (Edward 1er, Henry VIII, Edourad VI) et ce pour des raisons politiques, morales et religieuses. L’Italie de la Renaissance voit la constitution de prestigieuses bibliothèques, notamment par les Medicis avec la bibliothèque Laurentienne à Florence. La papauté joua égalemet un rôle important dans cette constitution, puis la Hongrie et l’Allemagne. Vint la Révolution française : le pillage des bibliothèques privées et ecclésiastiques est généralisé au profit de l’instruction publique, de la centralisation et de l’interventionnisme culturel qui prévaut toujours.

La période contemporaine est riche d’exemples : les deux guerres mondiales, les anciennes républiques socialiste de la période du Mur de Berlin, la Chine de Mao, le Cambodge des Khmers rouges, le Sri-Lanka, Cuba, l’Afrique, la Bosnie, l’Afghanistan, l’Irak fournissent leurs contingents de destructions, d’autodafés, de pillages et d’incendies. En temps de paix, les dommages continuent : le feu, l’eau, les ouragans, les fuites de gaz, les naufrages, le vol sont autant de causes de destruction. L’auteur mentionne également que les bibliothèques jettent de plus en plus de documents, menacées par le trop-plein de la production éditoriale actuelle. Enfin, le papier se détruit et les nouveaux supports (magnétiques ou numériques) n’ont pas de durée de vie prouvée.

Ce catalogue édifiant des exactions humaines ou de catastrophes naturelles touchant le livre se termine sur des constats peu glorieux pour l’humanité. Ce voyage dans le temps et les civilisations se révèle souvent passionnant avec un bémol : l’effet d’accumulation en revient à poser la question du début, pourquoi cet intérêt marqué pour un tel sujet ? Même s’il est fort intéressant d’être plongé dans l’histoire du livre, fournie avec beaucoup de détails et d’érudition, un tel sujet traité sous forme de dictionnaire aurait certainement plus d’intérêt. En effet, l’auteur saute souvent d’une époque à une autre, y revient, ce qui laisse le lecteur un peu perplexe, et il faut bien le dire parfois perdu. Un dictionnaire permettrait de rassembler l’histoire du livre et de sa destruction avec diverses entrées possibles. En conclusion, il y a fort à parier que ce type d’ouvrage pourrait prendre la forme d’une collection, tant le sujet semble inépuisable.

Critique parue dans Documentaliste, sciences de l'information, 2005, vol. 42, n° 3, pp. 242-243.

Cop. JP Accart, 2007

 

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