International
1996 - IFLA Beijing (Chine) (bis)
La Chine à l'heure de la coopération internationale et des réseaux de l'information
China living at the international cooperation and information networking times
Documentaliste, sciences de l'information, 1997, vol. 34, n° 1, pp. 46-49 .
"La Chine s'est éveillée", "1997 : l'année de la Chine", "la Chine émerveille et fait peur à la fois" : tels sont les titres d'articles, de dossiers ou d'ouvrages récents consacrés à ce pays à l'échelle d'un continent. Les chiffres sont là : une superficie de près de 10 millions de km2, une population d'1 milliard 211 millions d'habitants (dont 10 millions à Pékin), un taux de croissance économique de 10, 2 % par an à faire palir d'envie. Que reste-t-il de l'empire du Milieu qui hante nos mémoires ? Comment cohabite communisme et économie de marché ? A l'heure où l'information ne connait plus de frontières grâce aux réseaux, où bibliothèque et documentation riment avec coopération internationale, la Fédération internationale des associations de bibliothèques (FIAB, plus connue sous son acronyme anglo-saxon "IFLA" qui sera utilisé le plus fréquemment dans cet article) a tenu sa 62ème conférence annuelle à Pékin, fin août 1996.
La coopération internationale des bibliothèques : avant tout un réseau humain dense
Après la Russie en 1991 et l'Inde en 1992 (cf Documentaliste, 1992, vol. 26, n° 1 et 6), puis Barcelone (1993), Cuba (1994) et Istanbul (1995), ce fut Pékin. Quels sont les enjeux de telles réunions à l'heure des réseaux?. Bien qu'ayant le statut d'ONG et se voulant apolitique, il ne semble guère innocent que l'IFLA réunisse ses membres aux quatre coins de la planète, et, ces dernières années, dans des pays si marqués politiquement.
Fortement contestée par la profession elle-même (en France, notamment au sein de l'Association des Bibliothécaires Français) au vu des manquements chinois aux droits de l'homme (la Chine est au 71ème rang dans le classement des pays pour le non-respect des droits de la femme), la tenue de cette conférence n'a pas laissé indifférent. Certains décidèrent de ne pas s'y rendre, d'autres eurent la réflexion inverse. Il apparait cependant évident à tous ceux qui participent régulièrement aux conférences de l'IFLA qu'elles sont essentielles pour créer des liens, non seulement entre individus, mais aussi entre organisations et institutions ; qu'elles font évoluer les pays organisateurs et même les professionnels au-delà de ce qu'ils croient n'être qu'une simple réunion professionnelle et qu'elles donnent aux bibliothécaires de tous les pays du monde le sentiment d'appartenance à une même communauté internationale. L'IFLA est un réseau humain avant tout.
Outre ces échanges, chaque conférence est l'occasion de découvrir la situation d'un pays sur le plan des bibliothèques et de la documentation, et donc de l'information, au travers des différents travaux exposés ou de visites organisées sur place : bibliothèque nationale, publique ou spécialisée. C'est aussi une opportunité de comprendre la manière dont est organisée la profession dans chaque pays ou simplement de rencontrer des collègues. Comparer les pratiques professionnelles est la meilleure manière d'évoluer soi-même et de faire évoluer un métier.
Bref aperçu sur l'IFLA
Fondée en 1927 par 15 pays (dont la France) avec pour buts de promouvoir la coopération internationale, le débat et la recherche dans tous les domaines touchant à la bibliothéconomie, cette fédération a connu des temps inégaux : peu ou pas connue de l'ensemble du monde des bibliothécaires, elle s'est réveillée avec l'intérêt que la profession porte dorénavant à la coopération internationale ; l'informatisation croissante, les réseaux, la mondialisation de l'information ont amplifié ce mouvement.
Orchestrée par un bureau d'état-major, les fameux IFLA Headquarters, depuis La Haye, aux Pays-Bas, la fédération compte actuellement 1504 adhérents dans 135 pays, soit 154 associations et 935 institutions. Elle a un statut consultatif auprès de l'UNESCO et s'est définie un certain nombre de programmes universels : le Contrôle bibliographique universel MARC (UBCIM), la Diffusion universelle des publications (UAP), la Préservation et la conservation des documents (PAC), le Développement des moyens de communication (UDT) et l'Avancement de la profession dans les pays en voie de développement (ALP). Elle communique avec ses différents représentants grâce à Internet (http://www.nlc-bnc.ca/ifla/), mais aussi par des courriers réguliers. Faire en sorte que les énergies restent mobilisées d'une année sur l'autre est un défi permanent. Un Bureau exécutif, un Bureau professionnel donnent les orientations générales aux 8 divisions, 33 sections et 12 tables rondes. Chaque section vit grâce à un comité permanent (Standing Committee) qui organise, à l'intérieur du programme général de la conférence, sa propre session de conférences et/ou un atelier de travail ; le lien entre les membres des sections se fait par une lettre d'information.
En France, un Comité français pour l'IFLA [1] s'est constitué en association et s'est défini plusieurs buts : faire en sorte que la présence française soit d'importance et de qualité lors de chaque conférence annuelle (98 délégués français étaient présents à Pékin, contre 234 américains, 135 japonais, 117 russes) ; défendre la langue française (celle-ci étant une des langues officielles de l'IFLA) en assurant des traductions des textes présentés, et au travers de la francophonie. Le Comité a ainsi invité pour la séance de clôture du congrès de Pékin, Alain Peyrefitte.
L'IFLA à Pékin : "Le défi du changement : les bibliothèques et le développement économique".
Robert Wedgeworth, l'actuel président noir américain de l'IFLA, en exercice jusqu'en 1997, a employé à propos de la conférence de Pékin, l'expression suivante : "an overwhelming experience" ! (ce qui se traduirait par : une expérience écrasante !. ). Expérience écrasante à plusieurs titres en effet : la venue de 2384 délégués, dont 800 chinois, en provenance de 91 pays ; 267 conférences ; 284 exposants. Le discours d'ouverture fut lu par le Premier Ministre Li Peng qui insista sur "le rôle des bibliothèques en tant que détentrices de la connaissance et leur rencontre inévitable avec le développement social et économique de la Chine". La conférence fut couverte tous les jours par les médias chinois, notamment la télévision qui lui consacra quelques minutes durant le journal du soir. Le quotidien en langue anglaise de Pékin, The People's Daily, annonça en première page : "Chaque ville chinoise aura sa bibliothèque avant 2010" !.
Que peut-on retenir de la situation des bibliothèques en Chine ?.
La Chine à l'heure des réseaux de l'information : une situation contrastée !
La situation des bibliothèques chinoises telle qu'elle a été décrite durant la Conférence semble correspondre exactement à la ligne définie par le parti communiste chinois : leur histoire débute avec l'histoire officielle, soit en 1949 !. C'est oublier un passé très riche, dont les collections privées et celles de la Cité interdite. Un épisode marquant fut l'incendie de la bibliothèque du Hanlin Yuan (Académie de Hanlin, centre impérial d'études universitaires) durant le siège de Pékin en 1900 qui priva la Chine d'un patrimoine inestimable. Ce n'est qu'à partir de 1913 avec la création de la première bibliothèque publique par l'écrivain Lu Xun, et 1919 (date de la Révolution de la démocratie nouvelle et du Mouvement du 4 mai) que les collections sont offertes aux Chinois. Mais faire accéder plus d'un milliard d'hommes à l'éducation et à la culture, dans un pays jusqu'alors essentiellement agricole, relève de la gageure (on dénombre, à l'heure actuelle, plus de 62 millions de pauvres). A cela s'ajoute maintenant des moyens financiers réduits qui ne permettent pas aux collections d'ouvrages et de périodiques d'être maintenues et de se développer, notamment dans les bibliothèques universitaires ou à la Bibliothèque nationale. Les budgets sont en baisse, et il n'y a guère, malgré les déclarations du Premier Ministre ou de la presse, de schéma directeur pour le développement des bibliothèques sur le territoire chinois. Les bibliothécaires voient leurs rémunérations stagner ou baisser (à l'instar de leurs collègues russes ou cubains) et sont pratiquement contraints soit de s'orienter vers d'autres métiers, soit d'avoir une source de revenus complémentaires.
Cependant, à côté de situations de pénurie flagrante en matière de bibliothèques, la Chine a connu une inflation considérable des publications depuis une quinzaine d'années : en 1995, 104 000 titres ont été publiés et l'on dénombre pas moins de 557 éditeurs importants. Un autre contraste saisissant est l'offre de réalisations parfois à la pointe de la technologie actuelle. Cela rejoint d'autres pays tel la Russie avec le réseau des bibliothèques scientifiques "Soyuzmedinform" ; ou l'Inde, avec le Centre national indien de la documentation situé à New Delhi, INSDOC, centre de référence pour l'Asie du Sud-Est .
Voici quelques réalisations d'importance pour la Chine :
L'Internet chinois
Actuellement, la connexion de la Chine avec les réseaux informatiques mondiaux pour le grand public s'effectue autour de trois pôles à vocation universitaire et commerciale. Le plus ancien est ChinaNet, lancé par l'Académie des sciences et les universités de Pékin et Qinghua ; le second est Cernet qui relie une dizaine d'universités de province à Pékin ; et enfin, ChinaInternet, géré par le ministère des Postes et Télécommunications que n'utilise encore que 2000 communicants locaux. Cependant, il faut noter que la censure des autorités chinoises s'exercent même sur Internet par un contrôle des écrits ou en limitant l'accès au réseau (200 biblothécaires universitaires sur 1100 ont un accès à Internet) : en septembre dernier, le ministère chinois des P et T a fermé une centaine de sites (journaux publiés à Hong-Kong, bureau d'information de Taïwan, partis politiques, etc...) et il est désormais obligatoire de s'enregistrer auprès de la police. Internet est en fait un formidable moyen de contrôle pour les autorités chinoises et les mouvements dissidents préfèrent donc utiliser le fax ou le téléphone.
Mais la Chine est également présente hors de ses frontières avec des services d'informations principalement économiques qu'elle contrôle par l'intermédiaire d'amis chinois d'outre-mer, notamment aux Etats-Unis. Le site suivant (http://www.sat.net/sunset/china. Htm) donne des informations générales sur la Chine avec une cartographie et des bases pour apprendre le chinois. Chinet News Digest (http://www.cnd.org) et China Matrix (http://www.xindeco.com/chimat/chinew2.html) sont des sites gérés par la Fédération indépendante des étudiants et universitaires chinois : leurs bases de données contient un fichier sur les droits de l'homme.
Pékin, Shanghai et Hong-Kong vers le 21ème siècle
Pékin et Shanghai
Sans conteste, la ville de Shanghai est plus ouverte aux changements que la capitale, Pékin ; même si cette dernière rattrape à grands frais et avec force grands travaux, son retard en matière d'infrastructures et d'équipements modernes, au détriment des quartiers historiques anciens (les hutong traditionnels, ces ruelles aux maisons basses, fermées et grises remplacés par des buildings que l'on construit jour et nuit). La nouvelle bibliothèque publique de Pékin offre ainsi une surface de 140 000 m2, pour 20 millions de volumes et 2000 places assises. La plus grande ouverture de Shanghai est dûe à son histoire et à sa situation géographique : elle se constate par son dynamisme, un air de grande métropole occidentale et une population ressemblant plus à celle de Tokyo qu'à celle d'une ville chinoise, fut-elle de grande taille. C'est une des rares villes de Chine où un grand nombre d'étudiants ont choisi, par exemple, d'apprendre le français. L'une des réalisations les plus étonnantes est l'ouverture conjointe depuis le 20 décembre 1996 de la bibliothèque publique et de l'Institut de l'information scientifique et technique de Shanghai (ISTIS) situés dans les mêmes locaux : 2 tours, l'une de 24 étages et l'autre de 11 étages reliées par un bâtiment plus modeste de 5 étages. Soit 83 000 m2 et 3000 places assises. 23 salles de lecture permettront l'accès à 1 millon de documents et le catalogue sera informatisé.
Hong-Kong
Le 30 juin 1997, Hong-Kong réintégrera la Chine continentale. Qu'adviendra-t-il des services d'information ultra-modernes mis en place depuis une quinzaine d'années, équivalents à ceux qu'offrent le Japon, les Etats-Unis ou l'Europe ? Selon l'As
ociation des Bibliothèques de Hong-Kong, Hong-Kong continuera sur la même lancée et sera l'un des points d'accès essentiels sur le monde de l'information pour la Chine future. A l'heure actuelle, Hong-Kong collabore avec toute la zone du Pacifique, l'Asie et l'Australie, ainsi que les Etats-Unis, le Canada et la Grande-Bretagne. Elle a joué un rôle pionnier en matière de développement technologique, en direction des quatre millions de personnes vivant dans l'île tout d'abord, mais également par rapport aux pays alentours tels Singapour, Taïwan, la Malaisie. Hong-Kong a réalisé d'énormes efforts dans ce domaine et a développé des projets au niveau des bibliothèques universitaires, gouvernementales, publiques, scolaires ou spécialisées. Parmi ceux-ci : le Hong-Kong Newspaper Online Database ; la conversion du Catalogue rétrospectif de la Bibliothèque Fung Ping Shan à l'Université de Hong-Kong ; la collection complète de la jurisprudence en ligne ; les banques de données médicales à l'Université chinoise de Hong-Kong ; et enfin, le service en ligne des bibliothèques publiques.
La Chine à l'heure de la coopération internationale : l'exemple d'un partenariat entre l'Université McGill à Montréal et l'Université médicale de Shenyang
Ce projet de coopération a été définie en 1986 par une politique d'échanges intense et suivie : échange des publications, prêt interbibliothèque, recherches sur des questions complexes, développement des collections médicales chinoises et canadiennes (sélection et acquisition), formation des bibliothécaires chinois à McGill notamment sur les nouvelles technologies, visites réciproques des universités Shenyang et McGill.
Cette coopération s'est révélée très profitable à différents niveaux : celui de la formation des différents personnels bien sûr, mais également pour le transfert des technologies et la mise à jour des collections. Ainsi, l'Université médicale de Shenyang est devenue la première université chinoise dont la bibliothèque médicale offre le CDRom Medine en consultation : McGill a apporté son aide en matière de fournisseurs, de mise en place et de formation. Les bibliothécaires de l'Université McGill, première université anglophone du Canada et dont les 17 bibliothèques du campus ont mis leurs ressources en réseau, ont bénéficié du contact avec une autre culture et ont pu enseigner leur savoir-faire dans un environnement nouveau. Ce programme de coopération a été reconduit pour les années futures.
La Chine entre repli sur soi et ouverture sur le monde
La Chine se considère elle-même comme un pays en voie de développement, et même si les données économiques produites sont impressionnantes, l'état des bibliothèques chinoises est à l'image du pays lui-même : des retards considérables dans certains domaines, mais des avancées vers le futur non négligeables. Pour les étrangers que nous sommes par rapport à ce pays gigantesque, à sa culture et à ses traditions, un tel constat, de visu, ne peut que nous conforter dans le fait que la Chine sera bien présente au 21ème siècle. Pour les bibliothécaires chinois, la Conférence de l'IFLA, la première à se dérouler dans ce pays, a été l'opportunité de comparer leur situation à celle de leurs collègues ; des ouvertures sur le monde extérieur ont ainsi été rendues possibles. Oscillant toujours entre le repli sur soi et l'ouverture sur le monde, on peut aisément prévoir que la Chine donnera la priorité au développement des services de l'information, avec des caractéristiques qui lui seront propres et qui seront profitables aussi bien aux pays développés qu'aux pays en voie de développement.
Références
(1) ACCART J.P. Les bibliothèques scientifiques russes en transition. Documentaliste, sciences de l'information, 1992, vol. 29, n° 1, pp. 42-45.
(2) ACCART J.P. Panorama de l'information scientifique et médicale en Inde. Documentaliste, sciences de l'information, 1992, vol. 29, n° 6, pp. 277-283.
(3) ACCART J.P. Les réseaux de l'information scientifique et technique : historique. Le Micro-Bulletin du CNRS, 1995, n° 61, pp. 116-123.
(4) CAMPBELL H. Report on IFLA in China, August 1996 : The Challenge of Change : Libraries and Economic Development. IFLA Journal, 1996, vol. 22, n° 4, pp. 311-313.
(5) Guoxiu CHEN, DUCASSE R. Les bibliothèques chinoises à la veille du nouveau siècle. Documentaliste, sciences de l'information, 1996, vol. 33, n° 4-5, pp. 252-254.
(6) DAVIS D.G., HUANWEN C., BOGAERT S. (trad). La destruction d'ouvrages chinois pendant le siège de Pékin en 1900. Bulletin d'informations de l'Association des bibliothécaires français, 1996, n° 173, pp. 69-99.
(7) GROEN F. A decade of partnership in library education between McGill University and China Medical University. Présentation lors de la 62ème Conférence de l'IFLA, Pékin, Août 1996, Session des sciences médicales et biologiques.
(8) Highlights from IFLA'96 - Beijing, China : An Overwhelming experience. IFLA Press Release, October 1996.
(9) IFLA Directory 1996.
(10) POULAIN M. L'IFLA à Pékin. Bulletin des bibliothèques de France, 1996, t. 41, n° 6, pp. 94-97.
(11) La 62ème conférence de l'IFLA à Pékin. Bulletin d'informations de l'Association des bibliothécaires français, 1996, n° 173, pp. 69-99.
Résumé
La Chine fait preuve d'une exceptionnelle ouverture à l'heure des réseaux de l'information et de la coopération internationale des bibliothèques. Dans ce cadre, la tenue de la Conférence annuelle de l'IFLA (International Federation of Libraries Associations) telle que celle qui s'est tenue à Pékin, en août 1996, a été riche d'enseignements de toutes sortes : humains, professionnels, technologiques, et sur le pays lui-même. Cet article montre la contribution essentielle de l'IFLA pour un positionnement international de notre profession et est également le reflet d'une situation... contrastée au sein de la Chine !.
Abstract
China is opening its frontiers largely to information networking and international cooperation between libraries. The venue of the Annual Conference of IFLA (the International Federation of Libraries Associations) in Beijing, on August 1996, was a unique opportunity to learn more about the situation : in human, professional and technological fields, but also about the country itself. This article will show how IFLA contributes to extent our professional role at an international level, and will give the latest informations on a contrasted Chinese landscape !.
[1]Comité français pour l'IFLA, c/o Christine Deschamps, Bibliothèque universitaire, Direction, 49 rue des Saints-Pères, 75006 Paris
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