International

2001 - IFLA Boston (Etats-Unis)

 Bibliothèques et connaissances

Archimag, 2001, n° 149, pp. 19-21.

C'est Boston qui a accueilli la 67ème conférence de l'Ifla. Cette fédération d'associations nationales de professionnels de l'information fait la part belle à l'expression de multiples points de vue. Elle s'oriente vers un meilleur dialogue nord-sud au sein de la communauté professionnelle et lance des passerelles vers la gestion des connaissance.

"We have made it big!", proclame à l'envie le comité d'organisation américain de la 67ème conférence de l'Ifla (International federation of libraries associations and institutions) qui s'est tenue à Boston du 16 au 25 août dernier. Et, effectivement, cette conférence est marquée par un certain gigantisme propre au continent nord-américain : il n'y a jamais eu autant de participants (5 300 au dernier décompte, soit 2 000 personnes de plus par rapport aux précédentes conférences dont 1 279 y assistant pour la première fois), plus de 150 pays représentés, des adhésions en masse... Les organisateurs américains ont toutes les raisons d'ètre satisfaits de cette réunion internationale. La qualité est également au rendez-vous, le niveau des communications présenté ayant sensiblement augmenté suite aux recommandations faites les années précédentes et correspondant aux vœux exprimées par le governing board [1] et la présidente française de l'Ifla, Christine Deschamps.

faire entendre la voix de l'Afrique

L'annonce la plus spectaculaire faite à Boston est le résultat des élections de la prochaine présidente de la fédération. Selon les nouveaux statuts adoptés l'an dernier à Jérusalem, ces élections se sont déroulées par courrier. Kay Raseroka, directrice des bibliothèques de l'Université du Botswana, est élue. Première présidente issue du continent africain depuis la création de l'Ifla, elle succèdera à Christine Deschamps en 2003. Cette élection est un signe fort de la communauté professionnelle dans son ensemble pour faire entendre la voix de l'Afrique dans une instance internationale de cette importance.
Longtemps dirigée par des représentants du monde occidental (essentiellement des nord-Américains et des Européens), l'Ifla a déjà connu un changement avec l'élection à sa tète d'une présidente française, Christine Deschamps. Sous son mandat, l'Ifla évolue vers plus de transparence dans sa gestion, d'efficacité dans son organisation et son action se développe considérablement ; la Fédération est impliquée dans les bouleversements actuels qui marquent le monde, elle émet de nombreux avis et recommandations, et participe (quand elle n'est pas elle-mème le moteur) à des projets internationaux : la reconstruction des bibliothèques de Sarajevo et du Kosovo, le projet de la bibliothèque d'Alexandrie en Egypte (sous l'égide de l'Unesco) sont des exemples. Elle prend position lorsque les événements l'imposent, notamment par rapport aux dangers représentés par une économie globalisée sur l'accès à l'information pour tous, ou la censure dans la liberté d'expression que connaissent certains pays.

liberté d'expression

Le comité FAIFE œuvre au sein de l'Ifla depuis quatre années pour la liberté d'expression. Le premier Rapport mondial sur les bibliothèques et la liberté d'expression, présenté à Boston, dresse un état des lieux dans 46 pays sur les 140 contactés. Christine Deschamps réaffirme à cette occasion que "les bibliothèques ont un rôle essentiel à jouer pour le développement de la démocratie et de la société en général. Elles sont des passerelles vers la connaissance. Elles reflètent la diversité et la pluralité de notre monde". Le rapport publie une cartographie de l'accès à l'information dans le monde, et la situation dans certains pays, du Turkménistan au Timor où l'on voit encore des bibliothèques qui brûlent, qui sont démembrées, des bibliothécaires inquiétés dans leur travail quotidien [2].
La position de l'IFLA concernant l'Organisation mondiale du commerce est affirmée. En tant que bien public, les bibliothèques constituent des organisations dédiées à la fourniture d'informations et d'idées auprès de leurs publics, sans considération d'âge, de religion, de statut social, de race ou de langue. En tant que services publics, elles ne rentrent pas dans un monde compétitif. Elles ne doivent pas ètre marginalisées, notamment par rapport aux accords internationaux concernant la propriété intellectuelle, ou aux taxes imposées lors de l'importation d'œuvres imprimées ou numérisées, ce qui est contraire à la liberté intellectuelle [3].

critique de l'embargo américain

Une résolution, votée par l'assemblée générale le 24 août [4], exprime une critique de l'embargo américain envers Cuba, embargo qui affecte sensiblement l'activité des bibliothécaires cubains, l'accès à l'information pour la population et les échanges interprofessionnels. Cette résolution réclame aux gouvernements américain et cubain d'éliminer les obstacles à l'accès à l'information. John W. Berry, président de l'American library association (ALA) et Eliades Acosta, directeur de la Bibliothèque nationale José Marti à La Havane, présentent ensemble ce texte.
Un autre signe important de l'engagement de l'Ifla est la publication conjointe avec l'Unesco d'un guide commun pour le développement des bibliothèques publiques [5] : ce guide se veut ètre une aide pour développer, dans n'importe quelle situation, une bibliothèque publique en lien avec les besoins locaux. De nombreux exemples sont exposés, ainsi que des solutions ingénieuses et novatrices.

campagne mondiale en faveur des bibliothèques

L'Ifla et l'Association internationale des éditeurs [6] ont décidé de travailler ensemble sur un certain nombre de points. La liberté d'expression, la réduction des taxes concernant ouvrages et publications électroniques, l'échange d'informations statistiques ainsi que l'archivage des publications électroniques et des métadonnées sont des sujets de préoccupation communs. Une recommandation sur le copyright est également à l'étude.
L'idée d'une campagne mondiale [7] en faveur des bibliothèques est lancée conjointement par l'Ifla et l'ALA : avec le slogan @your library. Elle cible le public d'une manière générale, les enseignants, les décideurs, gouvernants de tous pays, les médias. L'ALA a lancé une campagne similaire aux Etats-Unis en avril 2001, durant la semaine nationale des bibliothèques, sous les auspices de la First Lady Laura Bush, elle-mème ancienne bibliothécaire et professeur. Trois messages sont diffusés à cette occasion : un, les bibliothèques sont des lieux de changement et dynamiques, deux, les bibliothèques sont des lieux où toutes les opportunités existent, trois, les bibliothèques relient le monde.

les organisations doivent changer leur culture

Le monde des bibliothèques se préoccupe de plus en plus de gestion des savoirs. Le Rapport annuel KPMG 2000 fait état d'une formation inadéquate des utilisateurs à cette pratique. Les organisations doivent changer leur culture par rapport à l'information et aux connaissances, faire en sorte que les travailleurs échangent l'information nécessaire à leur activité. La formation à l'information joue donc un rôle essentiel, rôle qui pourrait ètre pris en charge par les bibliothèques. Plusieurs expériences en knowledge management sont données en exemple, expériences qui touchent aussi bien l'information gouvernementale que la recherche ou le monde universitaire. Le gouvernement finlandais désigne le knowledge management comme support essentiel de sa politique et de la réforme en cours : la littérature administrative, les documents officiels, les métadonnées sont collectées sur un intranet afin d'ètre traités et analysés par des experts. Au Japon, la communauté des chercheurs se voit offrir la consultation d'un catalogue en ligne à son usage propre qui rassemble expériences et savoirs divers. Cette expérience, appelée Japan InK (Information networked knowledge), est le fruit du travail collaboratif de 1 200 institutions privées et publiques. Au Danemark, l'Aarhus school of business met en place une expérience originale par rapport au e-learning : elle offre à ses étudiants la possibilité de consulter en ligne une carte des savoirs imaginée comme un plan du métro. Chaque station correspond à un thème particulier qui donne accès aux savoirs liés à ce thème (littérature, bibliographie, experts).

rendre le savoir visible

Laurence Prusak, l'un des auteurs clés sur la gestion des savoirs [8], expose brillamment sa propre conception du KM. Il définit le savoir propre à chaque travailleur comme un ensemble de routines, la difficulté principale étant de les transmettre et de les partager entre des personnes. Peut-on apprendre au travers de cette transmission le savoir de quelqu'un d'autre ou est-ce utopique ? Comment rendre le savoir "visible" ? Cela suppose un réel travail de groupe, une communauté d'intérèts, des liens de confiance entre personnes au sein d'un mème groupe. La technologie, en l'occurrence, n'est pas suffisante pour rassembler des savoirs épars au sein d'une organisation : il faut tout d'abord une volonté et un climat de confiance.
La 67ème conférence de l'Ifla sera apparu comme un moment important pour les professions de l'information. La Fédération rassemble une communauté d'intérêts et devient le porte-parole de professions certes diverses, mais qui se rassemblent sous sa bannière. Le dernier exemple est la future intégration de la Fédération internationale pour la documentation et l'information (FID) au sein de l'Ifla dans les prochains mois. La 68ème conférence aura lieu à Glasgow du 18 au 24 août 2002.

Notes


1) Le governing board est le bureau exécutif de l'Ifla. Il est composé de : Derek Law (Grande-Bretagne), Sissel Nilsen (Norvège), Alex Byrne (Australie), A.M. Peruchena Zimmerman (Argentine), Jianzhong Wu (Chine), Sally Mc Callum (Etats-Unis), Ellen Tise (Afrique du Sud) ; Ross Shimon (Grande-Bretagne) est le secrétaire général.

2) Pour plus d'informations : Susanne Seidelin, Ifla FAIFE Office, susanne.seidelin@ifla.org

3) Le texte complet est consultable à l'adresse suivante : http://www.ifla.org/III/clm/pl/wto-ifla.htm

4) 553 votes pour, 54 contre, 12 abstentions.

5) The Public Library Service : Ifla/Unesco Guidelines for Development,/ prepared by a working group chaired by Philip Gill on behalf of the Section of Public Libraries.- Munich : Saur, 2001, 116 pages. - (Ifla Publications ; 97). - ISBN 3 598 21827 3.- 98 DM.- Contact : info@saur.de

6) International Publisher's Association (IPA)

7) Pour plus d'informations : http://www.atyourlibrary.org

8) Directeur exécutif de l'Institute for knowledge management chez IBM, Laurence Prusak est notamment l'auteur de deux ouvrages : Managing information strategically et Working knowledge.


l'Ifla en bref

L'Ifla est une organisation non gouvernementale créée en 1927 : elle rassemble 1 300 associations nationales de professionnels de l'information, émet des avis et des recommandations, est éditrice, et se veut une tribune internationale pour les bibliothèques, notamment au cours de son congrès annuel.
http://www.ifla.org


la conférence en chiffres

  • 1 300 délégués américains, 166 Chinois, 145 Russes, 132 Britanniques, 115 Français, 108 Canadiens ;
  • 261 communications durant les 6 jours de la conférence, 68 posters, 27 ateliers de travail dont 11 ateliers satellites avant la conférence, 3 000 numéros distribués chaque jour du journal Ifla Express ;
  • 150 bourses attribuées pour participer à la conférence (des gouvernements américains et danois, du comité français Ifla, des associations britannique et norvégienne), 5 bourses Ifla/OCLC attribuées au cours de la conférence permettant aux gagnants de participer à des programmes de formation continue à la Bibliothèque du Congrès ;
  • 171 stands commerciaux sur 2 900 m2 d'exposition ;
  • 307 bibliothécaires américains volontaires pour l'organisation de la conférence...

 

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