International
2006 - IFLA Séoul (Corée) (bis)
Les bibliothèques contre les déséquilibres
Archimag, oct. 2006, 198, 30-31
La Fédération internationale des associations de bibliothèques (IFLA) a fait le choix de Séoul en Corée du Sud pour la tenue de son 72ème congrès annuel, du 20 au 24 août dernier. Pourquoi ce choix ? Séoul est une des grandes métropoles d'Asie (avec 12 millions d'habitants) qui conjugue énergie, dynamisme et technologies avancées de l'information apportant un démenti à l'assertion de Rabindranath Tagore selon laquelle la Corée est « le pays du matin calme » : force est de constater, ne serait-ce qu'en prenant le métro tentaculaire de cette gigantesque métropole, que la majorité des habitants possède un téléphone portable (ils en changent tous les 6 mois selon les statistiques), un iPod et autres merveilles de la technologie actuelle. D'immenses écrans digitaux parsèment la ville, un musée de la technologie entièrement dédié à la robotique vient d'être inauguré (http://www.vieartificielle.com/article/?id=0997) . Quoi de plus évident donc que la tenue de cette 72ème conférence de l'IFLA dans la capitale d'un des dragons de l'Asie ? Les quelque 5000 congressistes des 117 pays représentés ne se sentent pas dépaysés, ils découvrent même la fascination quasi schizophrénique d'une population qui vénère Confucius et le dieu de la technologie sans distinction.
Avec pour titre « Les bibliothèques : moteurs dynamiques pour la société du savoir et de l'information », l'IFLA 2006 entre de plain pied dans les préoccupations actuelles des professionnels de l'information. Parmi plus de 200 communications présentées, la plupart en ligne sur le site de l'IFLA, certaines traduites en français, http://www.ifla.org/IV/ifla72/Programme2006.htm), les dizaines d'ateliers de travail, la possibilité de visiter une trentaine de bibliothèques, de centres de documentation ou d'archives, le lancement de nouveaux produits, l'occasion est unique de s'informer de l'actualité de la profession, de comparer avec ses propres pratiques et d'entretenir un réseau professionnel dense et varié.
L'un des thèmes récurrents est la volonté des dirigeants de l'IFLA de suivre de près les évolutions et d'influer sur les décisions du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI : http://www.itu.int/wsis/index-fr.html ) : après les sommets de Genève et Tunis, les bibliothèques sont maintenant inscrites dans la Déclaration de principes et le Plan d'action du Sommet. Un accord de coopération IFLA/UNESCO est signé, le SMSI devient une des lignes d'action forte de la nouvelle présidente de l'IFLA pour 2007-2009, Claudia Lux, directrice de la Zentral Bibliothek de Berlin. A cet effet, une coordinatrice pour l'ensemble des actions IFLA/SMSI est nommée, un groupe de travail permanent est créé, composé en grande partie de bibliothécaires suisses qui ont œuvré au succès de la préconférence IFLA/SMSI de décembre 2003 à Genève. Le Sommet de Tunis de novembre 2005 dégage 30 lignes d'action potentielles. Parmi celles-ci, le groupe permanent décide de travailler sur 4 lignes d'action principalement :
- - Le rôle des autorités publiques dans la promotion des TIC pour le développement (C1)
- - L'accès à l'information et au savoir (C3).
- - Le développement des compétences « Capacity Building » (C4)
- - L'identité et la diversité culturelle, linguistique et locale (C8)
Concrètement, cela signifie suivre les débats, conférences qui auront lieu pour chacune de ces lignes d'action, insister sur le rôle des professionnels de l'information, synthétiser les mesures prises (Contact coordinatrice IFLA/SMSI : Tuula Haavisto tuulah@kaapeli.fi) .
La « fracture numérique » est apparue dans un certain nombre de communications données y compris par les officiels (le ministre de la Culture de Corée notamment) comme un des maux de notre société dite avancée : comment la réduire ? Comment faire en sorte que les savoirs puissent être échangés entre le Nord et le Sud ? Les projets de digitalisation de documents et de données existent cependant bien sur le continent africain : en premier lieu, l'Afrique du Sud met en place DISA (Digital Imaging South Africa : http://disa.nu.ac), participe à l'African Digital Library (http://www.africandl.org.za/) et à la mise du projet Open source Greenstone Digital Library (http://www.greenstone.org/cgi-bin/library) . Le Zimbabwe, la Namibie, l'Ouganda, le Soudan, l'Angola développent des projets d'Open Archives, suivant en cela le reste du monde. Les thèses africaines commencent à être rassemblées grâce au projet DATAD (Database of African Theses and Dissertations : http://www.aau.org/datad/). Au Nord, un des projets en cours les plus ambitieux à relever est The World Digital Library (http://www.loc.gov/today/pr/2005/05-250.html) de la Library of Congress qui veut promouvoir des documents rares et précieux (cartes, plans, ouvrages) définissant des cultures spécifiques. La Russie, l'Egypte et le Brésil sont parties prenantes, ainsi que l'UNESCO et l'IFLA, le moteur de recherche Google participant à hauteur de 3 millions de dollars. Dans une moindre mesure, le projet de Bibliothèque numérique européenne montre néanmoins que le mouvement de la digitalisation du patrimoine littéraire et artistique mondial est lancé.
Si l'évolution des bibliothèques est notable en matière d'avancées technologiques, elle réfléchissent maintenant à séduire leurs usagers en leur offrant le meilleur service possible : pour cela, la technologie présente l'avantage, pour les services de référence virtuels, de contacter directement l'usager sur son téléphone portable via SMS ou messagerie pour l'informer des nouveautés ; afin de cibler les recherches, des moteurs de recherche spécialisés voient le jour, tel Hurisearch (http://www.huridocs.org/) qui répertorie plus de 3000 sites Internet sur les droits de l'homme soit 3 millions de page en 77 langues. L'interconnexion des catalogues de bibliothèques hétérogènes grâce aux métacatalogues semble avoir de beaux jours devant elle. Toutes ces possibilités existent, encore faut-il orienter les usagers vers ces services : pour cela le marketing des services devient incontournable. Des exemples de stratégie marketing sont proposés par la Section Management et Marketing de l'IFLA (http://www.ifla.org/IV/ifla72/Programme2006.htm).
Cependant, tout n'est pas rose pour les bibliothèques et services d'information aujourd'hui. Ils sont confrontés à des problèmes d'ordre politique : c'est le cas aux Etats-Unis pour certaines bibliothèques publiques qui doivent réviser drastiquement leur développement ; d'ordre économique : au Japon, où les bibliothèques sont incitées à être privatisées, le gouvernement ne souhaitant plus les financer ; sans compter les nombreuses catastrophes naturelles (tsunami, ouragans, inondations, incendies), les guerres (au Liban), les attaques terroristes. L'IFLA est sollicitée dans tous ces cas de figures, et réagit de manière pragmatique en avertissant la presse, en alertant l'opinion publique et les gouvernements, en aidant les associations professionnelles sur place. Le président de l'IFLA en exercice, Alex Byrne, insiste largement sur les « 3 piliers de l'IFLA » que sont « la société, les membres et la profession » (http://www.ifla.org/III/IFLA3Pillars-f.htm).
Dans ce contexte qui peut apparaître négatif, les bibliothèques en Corée présentent un visage souriant, avec des initiatives intéressantes et novatrices : si dans le superbe Musée national de Corée (http://www.museum.go.kr/eng/), il lui est possible d'admirer le « Pure Light Dharani Sutra », soit le plus ancien document gravé sur bois au monde (8è siècle), le professionnel de l'information est tout autant surpris par le nombre et la qualité des bibliothèques coréennes (quelques chiffres : 487 bibliothèques publiques, 10.000 bibliothèques scolaires, 570 centres de documentation - chiffres 2004) servant une population de 47 millions d'habitants. Leur développement est conséquent depuis 25 ans, après une longue période de latence. Un « Library Promotion Act » datant de 1991, suivi d'un plan pour les bibliothèques en 2002, permettent la mise en place récente de la nouvelle Bibliothèque nationale de Corée (http://www.nl.go.kr/nlen/index.htm) et celle de la Bibliothèque nationale digitale. 320 millions de dollars US sont budgétés jusqu'en 2011 pour les 6000 bibliothèques scolaires supplömentaires prévues. « Knowledge Korea » est le slogan qui englobe toutes ces actions.
A peine terminée, l'IFLA annonce ses prochaines conférences pour les trois années à venir : Durban en Afrique du Sud en 2007 ; Québec en 2008 et enfin, Milan en 2009 !
Jean-Philippe Accart
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