International
2007 - IFLA Durban (Afrique du Sud)
Entre émotion et responsabilité d'avenir
Pour la 73ème édition de son congrès annuel en août dernier, l'IFLA (la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques) a fait le choix de Durban en Afrique du Sud, choix hautement symbolique tant les bibliothèques veulent être associées au concept d'accès à l'information pour tous. C'est la première fois qu'un congrès de l'IFLA se tient sur le continent africain, après avoir élu il y a quelques années une présidente africaine, Kay Raseroka, du Botswana dont le mandat s'est terminé en 2005. Une deuxième présidente africaine a été élue pour 2010 (les élections à l'IFLA sont faites très en avance), Mme Ellen Tise, d'Afrique du Sud, connue pour ses interventions sur les savoirs indigènes.
L'IFLA fête ses 80 ans (la Fédération fut créée en 1927), et semble avoir opéré un virage important dans son histoire : plus d'ouverture aux professionnels de l'information dans leur ensemble, rajeunissement général par la présence de délégués ne faisant pas forcément partie des cadres de bibliothèques, organisation assouplie, adhésion plus évidente aux problèmes sociétaux (l'accès au savoir et à la connaissance ; la liberté de l'information ; le rôle des femmes dans la société ; l'apprentissage de la lecture...) à quoi s'ajoute la prise en compte de la réalité sociale, politique et économique du pays accueillant le Congrès mondial des bibliothèques et de l'information, à savoir cette année l'Afrique du Sud. Si l'on sent dans chacune des paroles des différents intervenants politiques ou culturels lors du Congrès la présence de Nelson Mandela, l'homme qui a libéré le pays de l'Apartheid en 1994, il est clair qu'à des yeux d'Occidentaux, la situation sociale est loin d'être évidente, notamment avec les questions de sécurité, de chômage et de pauvreté. Les Africains du Sud, malgré ces problèmes, expriment un attachement très fort à leur pays, à leurs racines (qu'elles soient blanches ou noires, ou d'autres continents). Une des interventions les plus marquantes et les plus émouvantes est celle d'Albie Sachs, qui s'est longtemps battu contre l'Apartheid, fut emprisonné de nombreuses années, maintenant magistrat à la Cour constitutionnelle. Il dédit sa conférence au « bibliothécaire inconnu » qui lui fournissait des livres durant son incarcération et rappelle que Gandhi vécut en Afrique du Sud où en 1891, il subit lui-même le racisme.
A tout cet arrière-plan chargé d'histoire, s'ajoute, bien sûr, le programme de la Conférence: le cru 2007 fut exceptionnel par la qualité et la diversité des interventions et des conférenciers. 3100 délégués y assistent représentant 116 pays. Toutes les bibliothèques semblent s'être donné le mot : l'utilisateur doit être au centre, ce qui est un changement radical par rapport au rôle habituel qui leur est dévolu, à savoir la conservation des documents. Mais les avancées technologiques sont passées par là, Internet notamment, remettant profondément en cause l'essence même du métier. Il faut donc s'adapter sous peine de disparaître et le Web 2.0 fait une entrée en force dans tous les projets de modernisation de sites Web, avec l'idée sous-jacente de capturer un public par nature volatile, exigeant et individualiste. Toutes les techniques du Web 2.0 sont utilisées, du Podcast au fil RSS, du blog au chat, en passant par le Wiki. La Bibliothèque nationale de Singapour (http://www.nlb.gov.sg/) n'est pas en reste, tout semble bon pour attirer le public, avec des offres ciblées (pour les particuliers, les éditeurs, les auteurs...), des ateliers de travail réunissant hommes d'affaires et bibliothécaires autour d'un thème, des expositions virtuelles interactives. C'est le cas également de l'Université de Pretoria (http://web.up.ac.za/) avec son programme « E-Information Strategy » dont le contenu et les avancées pour l'utilisateur final (étudiant ou enseignant) font frémir d'envie les bibliothécaires français. A l'Université de Chur, en Suisse, un enseignant en sciences de l'information, utilise le Wiki pour former ses étudiants à l'écriture comparée d'articles.
Le marketing est utilisé comme technique de communication pour les bibliothèques, avec des exemples parfois étonnants : la très sérieuse bibliothèque d'Oxford, The Bodleian Library (http://www.bodley.ox.ac.uk/), seconde en Grande-Bretagne par ses fonds après la British Library, loue volontiers ses locaux pour le tournage des Harry Potter, tandis que la non moins sérieuse Bayerische Staatsbibliothek de Munich (http://www.bsb-muenchen.de/) vend son âme au diable de l'argent en organisant des shows pour la sortie d'un nouveau produit de Siemens ou des défilés de mode pour Yves Saint Laurent. Il faut préciser, qu'à leur actif, ces bibliothèques possèdent des locaux somptueux leur permettant d'accueillir de tels événements. On peut se demander où cela s'arrêtera : une des réponses des conférenciers est de dire qu'ainsi l'attention des politiques et du public est sensibilisée par d'autres aspects des bibliothèques, permettant d'attirer également les médias.
Plus sérieusement, d'autres projets attirent l'attention : l'Afrique du Sud et le Mali viennent de signer un accord pour la préservation des célèbres manuscrits arabes de Tombouctou (http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.php-URL_ID=14224&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html) datant du Moyen Age, et Adama Samassékou, président de l'Académie africaine des langues (http://www.acalan.org/fr/ ) expose son projet MAAYA (http://maayajo.org/) pour la diversité linguistique. Ce projet est intégré dans la ligne d'action C8 du Sommet mondial sur la société de l'information (SMSI) « Diversité et identité culturelle » et rejoint un des thèmes du congrès, les savoirs indigènes, principalement oraux. Ceux-ci sont maintenant protégés par un amendement de la constitution d'Afrique du Sud.
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Claudia Lux, présidente de l'IFLA (2007-2009) et directrice de la Zentralbibliothek de Berlin: « Les bibliothèques à l'ordre du jour »:
- Quels sont vos projets pour l'IFLA?
CL : Avec ce slogan, « Les bibliothèques à l'ordre du jour », il me parait important de souligner que les bibliothèques supportent toutes les activités de la société, et pas uniquement l'aspect culturel ou pédagogique. Par exemple, elles peuvent jouer un rôle dans le développement de la cité, dans les questions de migration et d'intégration.
L'IFLA rassemble les meilleures pratiques et les transmet à tous ses membres. Les bibliothécaires doivent compter avec les politiques, notamment pour leurs budgets, et doivent leur faire comprendre leur rôle d'intermédiaire entre l'information et l'usager.
Comment voyez-vous les changements actuels dans les bibliothèques?
CL : Les bibliothèques développent tous les moyens possibles pour rendre l'accès à l'information numérisée possible. Elles sont aussi beaucoup plus efficaces en matière de technologie qu'auparavant. Mais la frontière numérique existe toujours, et elles ont un rôle important à jouer en la matière. L'IFLA est là pour les aider.
Quel futur pour les bibliothèques?
CL : Il faut trouver un équilibre entre le développement professionnel et le monde numérique. Cela ne veut pas dire que nous ne nous occuperons plus des livres et des imprimés. Ceux-ci sont produits en quantité de plus en plus considérable, malgré le numérique. Maintenant, nous savons où sont les véritables défis, il faut les relever en développant les aspects multimédia et en trouvant des standards communs pour les futures bibliothèques numériques. Ce à quoi l'IFLA travaille de manière intensive pour les livres électroniques par exemple.
Nous devons rassembler les différentes composantes de la profession et les différentes parties du monde.
Le prochain rendez-vous de l'IFLA est fixé du 10 au 14 août 2008 à Québec-Canada, avec pour thème « Bibliothèques sans frontières ». Il sera précédé du 1er congrès de la nouvelle Association internationale francophone des bibliothécaires documentalistes (AIFBD) à la Grande Bibliothèque de Montréal du 5 au 7 août (http://bibliodoc.francophonie.org/).
Article publié dans Archimag, octobre 2007.
Jean-Philippe Accart
cop. 2008
Voir aussi, sur ce site, l'Edito d'Août 2007: En direct de Durban
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