L'enseignement

(2017) - Compétences informationnelles et employabilité : y a-t-il un lien de cause à effet ?

publié le 7 octobre 2017 sur le site Tribune Compétences Informationnelles

En d’autres termes, faut-il être expert en recherche d’information, maîtriser l’information sous tous ses aspects pour décrocher un travail ou être sélectionné de préférence à quelqu’un qui ne possède pas ces compétences ? Aux yeux de la plupart des professionnels de l’information, de la documentation et des bibliothèques, la réponse semble aller de soi : par exemple, les bibliothèques universitaires se targuent – à juste titre – de participer pleinement à la réussite des étudiants. Mais, sur le marché du travail, la question ne se pose généralement pas : d’une part ce n’est jamais mentionné dans les offres d’emploi, et d’autre part, décideurs et cadres n’y accordent en général que peu d’importance. Il faut donc relativiser cette question même si elle est d’importance et sous-tend d’autres interrogations : la valeur ajoutée des professionnels de l’information ; l’autonomie réelle des utilisateurs par rapport aux outils ; leurs pratiques des réseaux de l’information ; la place de l’information dans l’entreprise…

La conférence européenne sur les compétences informationnelles (ECIL 2017) qui s’est tenue à Saint-Malo en France en septembre dernier a permis de développer ce sujet, parmi bien d’autres. Conférencier invité, il m’a été possible de présenter et comparer deux situations très différentes, qui ne donnent pas les résultats escomptés. La première expérience relatée est celle rencontrée à l’Université de Genève où j’ai dirigé la bibliothèque de la Faculté des sciences de 2009 à 2011 : depuis une dizaine d’années, l’Université de Genève et ses bibliothèques déploient de nombreux efforts dans ce sens, avec succès [1]. Des programmes de maîtrise de l’information sont rendus obligatoires dans un certain nombre de cursus, permettant aux étudiants d’obtenir des crédits ECTS selon le processus de Bologne. Un tutoriel en ligne « Infotrack » a été développé, avec des vidéos drôles et interactives qui démythifient l’information. On peut aisément affirmer que les étudiants qui sortent des différents cursus sont mieux armés pour comprendre l’environnement informationnel, ils ont pu travailler dans de bonnes conditions à leurs thèses et mémoires en ayant évité les pièges du plagiat ou de la fraude. L’Université de Genève est classée 53e selon le ranking de Shanghai [2].

La seconde expérience est celle vécue actuellement à l’École hôtelière de Lausanne (EHL) où je dirige la bibliothèque et les archives depuis 2014. C’est une Haute école suisse qui forme de futurs directeurs d’hôtels et de restaurants ou des cadres supérieurs dans les domaines des banques et des assurances ou d’autres secteurs de l’économie et des affaires. Plus de 2800 étudiants provenant de 114 pays suivent un cursus de bachelor ou un master ou un EMBA : école privée et internationalement reconnue, elle est classée 1re au monde dans sa catégorie selon les critères américains de la NEASC (New England Association of Schools and Colleges) [3]. Depuis plus d’une dizaine d’années, un programme en compétences informationnelles a été mis en place par la bibliothèque, mais il est non obligatoire et subit le bon vouloir – aléatoire –  du corps enseignant qui y voit un intérêt ou non. On peut donc dire que les étudiants ont un niveau de compétences informationnelles moyen, qui correspond cependant à celui d’une école en sciences appliquées, forcément différent de celui d’une université.

Il est nécessaire de signaler que les formes d’enseignement et la pédagogie ne sont pas semblables entre l’université et l’école appliquée : si la première utilise majoritairement les cours magistraux, la seconde s’emploie à former ses étudiants sur un mode interactif et dynamique (comprenant bien sûr des cours magistraux) mais également de nombreux ateliers, groupes de travail, échanges, mises en situation. Les compétences sociales sont valorisées et de nombreuses activités (ludiques, sportives, culturelles) sont proposées tout au long de l’année académique. La notion de réseau est fortement développée, et le restera tout au long de la vie professionnelle avec des réseaux d’alumni présents sur tous les continents. Les employeurs viennent également sur place rencontrer leurs futurs employés. Tout est donc fait pour une entrée rapide et efficiente sur le marché du travail. L’université, en général, n’a pas véritablement cette mission, elle a une mission d’enseignement et de recherche qui mène à un certain type d’emplois, le succès n’étant pas garanti à la sortie.

Qu’en est-il lorsqu’un étudiant sort diplômé de l’Université de Genève et un autre de l’École hôtelière de Lausanne ? L’employabilité est nettement plus élevée pour le second, car tout a été mis en place pour cela : connaissance des marchés potentiels, stages sur le terrain, rencontres avec des employeurs, réputation internationale de l’école. La majorité des étudiants diplômés de l’EHL trouve rapidement un emploi qui, s’il n’est pas un emploi de cadre dans un premier temps, tend à le devenir par la suite (58 % obtiennent ce type d’emploi dès leur entrée sur le marché du travail). L’université ne produit pas ce type de statistiques, mais il y a fort à parier que l’entrée sur le marché du travail n’est pas aussi rapide, ni aussi fructueuse. Cependant, leurs compétences informationnelles sont enviables, en comparaison des étudiants de l’EHL qui présentent d’autres capacités. C’est là une des contradictions qu’il faut soulever. On pourrait certainement trouver d’autres contradictions.

Pour terminer ce billet, il parait essentiel de se tourner du côté des entreprises et des organisations, et du monde du travail en général. L’employabilité des jeunes diplômés incluant la maîtrise de l’information devrait être mieux prise en compte par les entreprises. Rares sont celles qui ont compris que le management de l’information, la gestion des savoirs (ou knowledge management) ou la formation à l’information (information literacy) sont bénéfiques à la prise de décision et à la bonne marche de l’entreprise. Des études récentes démontrent que les employés perdent en moyenne 8 heures par semaine à trouver l’information qu’ils recherchent  [4]…Il est intéressant de constater qu’un certain nombre d’alumni de l’École hôtelière se tournent vers leur ancienne bibliothèque d’attache pour obtenir de l’information. Les vieux réflexes ne se perdent jamais totalement.

Jean-Philippe Accart

[1] Voir : https://www.unige.ch/stat/fr/statistiques/chiffresetudiants/

[2] http://www.shanghairanking.com/fr/

[3] https://www.neasc.org/

[4] https://fr.linkedin.com/pulse/combien-de-temps-perdu-%C3%A0-la-recherche-dinformation-c%C3%A9dric-frickert, published 15 May 2017 by Cédric Frickert: “According to a report published by McKinsey, employees spend 1.8 hours per day, 9.3 hours per week, on average, searching for and gathering information. » Source: Time Searching for Information ». Other sources:

  • 19.8% of the time of the activity – the equivalent of one day per week of work – is wasted by employees by employees in search of information to do their jobs efficiently; 1/5 of business time is lost looking for information. « Source: Interact ».
  • A recent webinar provided an interesting statistic by Outsell: the time spent by a manager in search of information has increased 28% since 2002. « Source: IHS Knowledge Collections ».
  • A new poll revealed that workers needed eight searches to find the right document and information. « Source: SearchYourCloud ».
  • IDC data shows that « workers spend around 2.5 hours every day, or about 30% of the work day, looking for information… 60% of corporate managers estimated that time constraints and incompetence in searching for information prevented their employees from finding the info they need. “Source: Information: The Lifeblood of the Enterprise”.
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