L'hôpital

(1993) - Les infirmières et l'Europe

Revue de l'Infirmière, 1993, n° 20, pp. 36-39.

Les infirmières et l'Europe: le rôle de l'information documentaire

L'information de santé en Europe

Le monde infirmier se situe dans une histoire, une communauté qui dépasse le cadre de la France. L'Europe, en effet, se construit, et tous les professionnels de santé sont concernés. Cependant, de nombreux problèmes d'actualité se posent à tous les partenaires européens : les réévaluations des politiques de santé, l'accroissement constant des dépenses de santé, les crises à répétition du personnel soignant, une technicité de plus en plus grande. Comment appréhender ces changements ?
La réalisation d'un véritable marché de l'information à l'échelle européenne est ressentie comme un facteur important d'innovation et de développement.
Dans le domaine de la santé en Europe, le problème de l'accessibilité à l'information se pose réellement pour le personnel de santé ainsi que pour le public: ceci est vrai surtout quand il s'agit d'institutions ou d'établissements qui ne sont pas dans le champ universitaire, notamment les hôpitaux généraux. En effet, alors que les conditions pour la diffusion de l'information médicale sont réunies dans des centres universitaires, en dehors de ces centres, beaucoup de pays européens n'ont pas les structures nécessaires pour diffuser l'information spécialisée directement auprès de leurs personnels de santé.

La dynamique de l'information

Notre ère est une ère d'information, et il s'agit d'en saisir toutes les composantes: l'information est un élément fondamental de la prise de décision et de l'action. La maîtrise de l'information permet de confronter ses pratiques, de les évaluer, d'actualiser ses connaissances par rapport, en particulier, aux avancées technologiques: l'infirmier(e), comme tout professionnel de santé, doit, en effet, constamment remettre ses connaissances à jour ; une adaptation rapide aux changements devient nécessaire pour optimiser les soins, et satisfaire ainsi un nombre croissant d'usagers. L'information dynamise cette adaptation.

Les lieux de recherche de l'information

Si l'information est partout présente, il reste cependant qu'elle peut être événementielle, incomplète, passagère. Des lieux sont nécessaires où pouvoir la rechercher, 1'approfondir, la compléter.
Ces lieux, bibliothèques ou centres de documentation, sont plus ou moins spécialisés, plus ou moins accessibles aux professionnels de santé qu'ils soient médicaux ou paramédicaux. Les bibliothèques des facultés de médecine, les bibliothèques d'hôpitaux représentent des ressources documentaires importantes pour le corps médical ; malheureusement, elles sont, la plupart du temps en France, peu accessibles au personnel infirmier, pour des raisons institutionnelles et/ou économiques et ne disposent généralement pas de fonds spécifiques en soins infirmiers.

L'information documentaire en Europe : états des lieux

Plusieurs réalisations en matière d'information documentaire au service du personnel infirmier ont été faites en Europe. En voici quelques exemples :

- En Norvège, il existe 100 hôpitaux généraux dont 50 % équipés d'une bibliothèque médicale, accessibles à tous les personnels soignants. Les plus importantes sont celles relevant de l'université ainsi que celles de l'Hôpital National. Une politique de coopération pour l'acquisition de périodiques biomédicaux et l'élaboration d'un catalogue collectif a été développée.

- En Espagne, les bibliothèques souffrent d'un grand éparpillement et d'un manque de coordination. Les personnels sont souvent peu qualifiés, les collections et les équipements inadéquats, ce qui implique une qualité de service peu satisfaisante pour l'usager. Sur 100 bibliothèques médicales, seulement un tiers peut fournir des recherches bibliographiques sur CD-ROM.

- En Italie, il existe 673 unités de santé réparties en 20 régions. Une unité représente plusieurs hôpitaux, cliniques et services de prévention; elle est censée être équipée d'un service de documentation médicale, ce qui n'est pas toujours le cas. Rome pussède le plus grand nombre de bibliothèques de santé. Dans le domaine biomédical, il existe une banque de données nationale des périodiques et 1 782 bibliothèques y participent.

- En Belgique, à Liège, on dénombrait avant 1983, au sein de la Faculté de Médecine, environ 50 bibliothèques de services, de taille et de fonctionnement variables, d'accès parfois malaisé. En 1982, un regroupement de quelques-unes de ces bibliothèques a permis de constituer une unité de documentation médicale ayant pour but d'améliorer l'accès pour tous à la documentation. Cette unité se développa et s'installa en 1987 dans de nouveaux locaux, devenant la Bibliothèque de la Faculté de Médecine. Les nouveaux lecteurs en nombre croissant, appartiennent à des catégories qui fréquentaient peu ou pas les bibliothèques de services. Le secteur paramédical est bien représenté.

- En Suisse, un exemple significatif est celui de la bibliothèque de la Faculté de Médecine de Lausanne : celle-ci est ouverte au personnel soignant et aux élèves. Une enquête menée auprès de ce public a montré que la fréquentation baissait après l'obtention du diplôme, mais augmentait ensuite proportionnellement avec les années post-diplôme ; les raisons pourraient en être la nécessité d'une formation permanente pour exercer dans certains services spécialisés. Le personnel infirmier qui ne vient pas à la bibliothèque centrale, fréquente des mini-bibliothèques conçues pour lui au sein de l'hôpital.

- En Grande-Bretagne, la situation est différente: à part les professionnels travaillant dans les hôpitaux privés (ceux-ci représentent 5 à 6 % du nombre total d'hôpitaux), les personnels médicaux et paramédicaux, dans tous types d'hôpitaux, ont accès à des bibliothèques médicales et à des services d'information. Le fait que 95 % des hôpitaux britanniques fassent partie du National Health Service (le Service national de Santé) est d'importance. Cela signifie que la majorité des professionnels de santé britanniques ont accès à l'information.
A Londres, la bibliothèque la plus importante en soins infirmiers est celle du «Royal College of Nursing», réservée aux membres (leur nombre s'élève à 257 000, soit environ la moitié du personnel infirmier en activité).
Fondée en 1921, elle possède un fonds de 40 000 volumes et de 350 périodiques sur les soins infirmiers et les sujets s'y rattachant.
Cette bibliothèque offre des services multiples à ses adhérents : prêt, recherches bibliographiques, fournitures de photocopies; cette dernière prestation est accessible aux non-membres à des prix différents, de même que la plupart des services aux autres bibliothèques de santé ou d'écoles d'infirmières. Les recherches bibliographiques effectuées sont passées d'une centaine par mois en 1988, à une centaine par semaine en 1990. La bibliothèque du «Royal College ofNursing» édite un répertoire « Nursing bibliography" disponible à la vente et qui représente un inventaire permanent, en langue anglaise, des références bibliographiques en soins infirmiers. Elle a le projet de constituer, à partir de ce répertoire, une banque de données sur les soins infirmiers disponible sur CD-ROM.
Ce dynamisme de la Grande-Bretagne, s'il provient d'une longue tradition, procède aussi d'une volonté gouvernementale. Au niveau de l'information de l'usager, les initiatives se succèdent dans les différentes régions. La plus ancienne, citée comme modèle national et même international, est le centre d'information « Help for Health ».
« Help for Health » a été fondé pour mettre à la disposition de tous les professionnels de santé, les références des ouvrages, brochures, dépliants en santé, avec également un fichier informatisé d'adresses des associations nationales et régionales et des références bibliographiques. Un service question-réponse, auquel s'ajoute depuis quelques mois un service spécial sur le sida, fonctionne également; les personnels soignants, mais aussi le public sont les utilisateurs des prestations offertes par « Help for Health » dont le directeur est Robert Gann.

- En France, nous sommes loin d'un tel dynamisme. La situation est, en effet, très inégale selon les hôpitaux. Il existe plusieurs types de bibliothèques réservées à des catégories de personnels différentes :
Les instituts de formation en soins infirmiers, très nombreux en France, ont chacun une bibliothèque pour leurs étudiants. Gérées en général par une monitrice ou un(e) documentaliste, ces bibliothèques appliquent les normes en vigueur : dépouillement des revues, fichiers thématiques, classifications. Réservées en général aux étudiants, ces bibliothèques sont parfois ouvertes aux personnels soignants.
Rares, cependant, sont les structures organisées pour le personnel soignant; mais il n'y a pas, non plus, une demande très importante de la part de celui-ci dans ce sens. Les initiatives sont donc individuelles, ou prises par le service de soins lui-même (abonnement à quelques revues et achat d'ouvrages). La règle reste l'éclatement de la documentation paramédicale au sein de l'hôpital.
Une tendance semble se dessiner dans certains hôpitaux: des bibliothèques ou centre de documentation centralisant la documentation. L'Assistance publique de Paris a mis en place le Centre de documentation pédagogique à l'Hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Au Centre hospitalier d’Argenteuil, un Centre de documentation pluri-disciplinaire (comportant les domaines médical, paramédical, administratif et technique) destiné à tous les professionnels de santé, hospitaliers et libéraux, a été ouvert début juin 1993.

L'exemple de la cité des sciences et de l'industrie de la villette

Cependant dans le domaine de l'information de santé et de sa diffusion dans le grand public, l'exemple de la Cité des Sciences de la Villette reste le plus probant: en 1986, la Cité des Sciences et de l'Industrie ouvre ses portes au public. Elle a été créée avec la volonté politique d'aider le public à se familiariser avec le développement de la science et des applications techniques, à comprendre et à les utiliser ces dernières, lui faire réaliser qu'il est acteur aussi bien qu'utilisateur.
La Médiathèque, bibliothèque multimédia en libre accès, propose des livres et revues, qu'il est possible d'emprunter (moyennant un abonnement annuel de 200 F), ainsi que des documents audiovisuels, des logiciels éducatifs et des dictaticiels. Dans ce contexte, pour la première fois en France, une bibliothèque médicale est accessible à tous et non seulement aux professionnels de la santé.
Le service Médecine-Santé de la Médiathèque offre à ses usagers, environ 7 000 titres d'ouvrages (20 000 volumes) en majorité de langue française et 500 titres de périodiques en biomédecine. À côté des documents de base, présents également dans d'autres bibliothèques médicales, figurent des ouvrages de vulgarisation choisis selon certains critères objectifs, des témoignages de malades, des documents de formation et de pratique des disciplines paramédicales.
L'accent est mis également sur les documents traitant des nouvelles technologies et de l'éthique biomédicale. Les aspects économiques, sociaux, anthropologiques de la santé, qui dépassent l'aspect clinique d'une bibliothèque médicale, permettent d'aborder l'information sociale de santé.

Conclusion: de l'importance de s'informer

En terme d'information documentaire et de personnels de santé, les réalisations européennes sont visibles, nous avons pu le constater: de l'Espagne à la Suisse, à la Grande-Bretagne et à la France, les disparités sont cependant très grandes. Plusieurs raisons à cela: les volontés politiques, les différences culturelles, les politiques économiques, la volonté des personnels eux-mêmes et leur capacité de mobilisation. Le manque de coordination, d'unification, d'échanges en sont d'autres.
Pour l'infirmier(e), il est cependant primordial de comprendre la place de l'information à l'heure actuelle dans l'évolution de la société. S'informer sur sa profession constitue un impératif: c'est un enjeu personnel important. Surtout à l'heure de l'Europe !


L'Association Européenne pour l'Information et les Bibliothèques de Santé (AEIBS)

Constituée en 1987 à Brighton sous l'égide de la Communauté européenne et de l'Organisation mondiale de la Santé, l'Association européenne pour l'Information et les Bibliothèques de Santé (AEIBS) s'est définie plusieurs buts dont le principal est de mettre les services des bibliothèques de santé à la disposition des profession
els de santé par la coopération et le partage des expériences au-delà des frontières. Concrètement, cela se traduit, cette année, par la mise en place d'un réseau d'échanges de photocopies d'articles médicaux en faveur des pays de l'Est: un certain nombre de bibliothèques médicales européennes ont déjà donné leur accord pour l'envoi gratuit de ces photocopies.

Un autre but défini dans les statuts de l'Association est de tenir les bibliothécaires de santé informés professionnellement, et ce, de plusieurs manières :

- en publiant une « Newsletter » trimestrielle en anglais et en français, les deux langues officielles de l'Association; des informations sont données, grâce à des correspondants européens :

  • sur les différents systèmes de santé en Europe,
  • les bibliothèques de santé en Espagne, en Italie ou en Norvège,
  • le devenir des CD-ROM médicaux,
  • ou les dernières publications sur la santé.

Cette « Newsletter » se veut être le lien entre les quelque 500 membres de l'Association à travers l'Europe.

- en encourageant la mobilité professionnelle dans le cadre élargi que représente l'Europe de 1993 : des échanges professionnels sont proposés entre institutions,

- en offrant des cours d'éducation continue: chaque conférence donne lieu, en effet, à une série de cours professionnels sur des sujets aussi divers que le management d'une bibliothèque médicale, l'utilisation de CD-ROM en réseaux, la pratique du télédéchargement ou la bibliométrie.

Le troisième but de l'Association est de représenter les bibliothécaires de santé à un niveau européen, en particulier auprès de la CEE et de l'OMS, en vue, par exemple, que des recommandations soient faites à un niveau européen pour une plus grande diffusion de l'information de santé.

En outre, l'AEIBS organise des ateliers de travail et des séminaires; elle est représentée au niveau de l'International Federation of Library Associations (IFLA) et de la Medical Library Association (MLA aux États-Unis). Enfin, elle publie un « Annuaire des bibliothèques médicales en Europe " , et les actes des conférences.

L'Association a déjà tenu 3 conférences: à Bruxelles (1986), Bologne (1988) et Montpellier (1992) ce qui a donné l'occasion à quelques centaines de documentalistes médicaux européens de se rencontrer. La prochaine conférence est prévue à Oslo du 28 juin au 2 juillet 1994 ; elle aura pour thème : « Information de la santé - Nouvelles possibilités ».
Rendez-vous est pris.

cop. JP Accart, 2007

 

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