La Profession

(2001) - Les bibliothèques à l’heure de la connaissance globale.

Documentaliste, sciences de l'information, 2001, vol. 38, n° 5-6, pp. 316-318.

Pour sa 67ème édition, le congrès annuel de l'International Federation of Librarians Associations and Institutions (IFLA) a rassemblé à Boston en août dernier plus de 5000 professionnels du monde entier. Cette manifestation, qui tend à devenir le rendez-vous international incontournable de la profession, montre le rôle essentiel tenu par la Fédération : intervenant dans des domaines très divers, ses préoccupations tendent principalement vers un dialogue nord-sud renforcé, vers une dynamique entre des métiers (1) et une adaptation constante aux évolutions du monde actuel, sociétales et technologiques.

La gestion des connaissances : " maintenant, plus tard ou jamais "

" Maintenant, plus tard ou jamais " : c'est ainsi que s'exprime Maija Jussilainen à propos du projet de gestion des connaissances qu'elle a en charge au sein du ministère des Finances finlandais (2). Ce projet est l'élément central d'un projet ambitieux qui est la réforme attendue du gouvernement central. Cette réforme a pour objectifs principaux de renforcer le principe de coopération au sein du gouvernement et des différents ministères et de développer une programmation stratégique. La confiance des citoyens et des fonctionnaires envers l'administration, leur implication dans les affaires publiques sont parmi les raisons fournies. Ainsi, la gestion des connaissances est, de manière explicite, un enjeu important de la réussite de la réforme.
Un Intranet répondant au nom de " Senator " est mis en place en tant que première pierre du dispositif. Senator est conçu comme le portail Intranet du gouvernement finlandais, en lien direct avec les Intranets ministériels. La première version comprend les projets de loi en cours, ainsi que la législation européenne, la préparation budgétaire, les accords internationaux. A la seconde version, se sont rajoutés plusieurs moyens de navigation possibles : affaires courantes, Parlement, Présidence, ministères, administration d'Etat et régionale, avec les traditionnels répertoires, calendriers de formation, dictionnaires. L'étape prochaine consistera dans la mise en place d'un répertoire téléphonique mentionnant les noms d'experts par domaine de connaissance, puis d'un forum de discussion pour les groupes de travail.

Vers un dialogue en ligne

Bibliothèques et centres de documentation souhaitent répondre le plus efficacement possible à l'exigence de rapidité formulée par l'utilisateur : outre le courrier, le téléphone, le fax, la réponse par mél aux demandes sont des procédés courants. La détermination du profil du demandeur devient également usuelle avec des formulaires en ligne lui permettant de mieux préciser ses centres d'intérêts. Certains logiciels autorisent la gestion du courrier électronique entre l'utilisateur et le documentaliste. A l'heure actuelle, ce sont les forums de discussion qui voient le jour permettant un meilleur suivi des recherches ou de travailler à plusieurs sur un même dossier. La Section Services de références et usagers de l'American Library Association (ALA) réfléchit depuis plusieurs années à l'établissement de normes en matière de dialogue en ligne avec l'utilisateur : ces normes ou indications (guidelines) peuvent se révéler très utiles aux services en ligne qui se créent ou aux consortiums en cours de constitution (3). La Newman Library, intégrée au Baruch College de New York, expérimente ces normes pour un projet éducatif innovant à destination des étudiants : l'utilisation des méthodes du travail coopératif déjà évoquées met en relation, au cours d'ateliers de travail en ligne, groupes d'étudiants, enseignants et bibliothécaires sur un thème de recherche commun. L'échange s'en trouve renforcé, la qualité du travail augmente.
Les expériences de dialogue en ligne utilisateur/documentaliste sont nombreuses, mais certaines ne sont pas toujours concluantes et demandent à être réévaluées : dans le cas de la Bibliothèque Gelman à l'Université Georges Washington, les bibliothécaires ont souhaité mener une évaluation du service de référence en ligne qui les mena à reconsidérer l'architecture et les liens de la page d'accueil de la bibliothèque : le lien " Interrogez-nous " fut modifié en " Interrogez un bibliothécaire ", ce lien pointant directement sur le formulaire de renseignements par messagerie. Les utilisateurs de cette bibliothèque ayant l'habitude de contacter directement le webmestre, il fut décidé d'envoyer automatiquement les messages de cette adresse vers la messagerie du service de renseignements. Les formulaires furent également modifiés et simplifiés. Entre février et mai 2001, le service de références a vu ses demandes doubler.

Numérisation de documents : l'exemple des documents cartographiques anciens

La Bibliothèque nationale de France choisit, dès sa création en 1994, d'offrir à ses utilisateurs un grand nombre d'images numérisées à partir de ses collections patrimoniales. C'est parmi les manuscrits que se trouve la première application d'imagerie numérique sur Internet, avec notamment l'ouverture en 1995 d'une base de données graphiques " 1000 enluminures sur Internet ". Selon Pierre-Yves Duchemin, chargé des projets d'informatisation et de numérisation d'images fixes à la BNF, ces documents sont les plus difficiles à numériser et à exploiter : venant de collections spécialisées, ils sont souvent très précis et très détaillés soulevant des problèmes techniques difficiles à résoudre en termes de qualité et d'utilisation. La numérisation de 300 000 images, confiée à des prestataires extérieurs, suit un contrôle qualité sévère tout au long de la chaîne de travail : l'utilisation de normes pour la numérisation, la compression des données, l'exploitation et la communication est obligatoire ; une charte colorimétrique et la vérification de l'adéquation des légendes à l'image complètent le dispositif. Le stockage des images est réalisé sur des serveurs disposant d'un espace de plusieurs tera-octets.
Le traitement intellectuel et l'indexation des images sont identiques à ceux des documents originaux. Le catalogage de ces derniers, présents dans la base de données BN-Opaline, a été complété par l'ajout d'une adresse dans la notice bibliographique et dans le document numérisé. L'utilisation de la norme XML est cependant à l'étude. A l'heure actuelle, la bibliothèque numérique Gallica comprend 50 000 documents graphiques.

Une bibliothèque électronique pour le Parlement européen

Dick Toornstra expose l'idée d'une bibliothèque électronique pour le Parlement européen : une bibliothèque inter-institutionnelle (à la fois matérielle à Bruxelles et virtuelle) desservirait le Parlement, la Commission et le Conseil européen, mais également les institutions de l'Union et pourquoi pas le public. A l'origine de ce projet, l'obligation pour les parlementaires de suivre plus facilement les progrès de la législation européenne et de rendre plus aisé l'échange des résultats de recherche sur les questions d'actualité. L'utilisation du thésaurus Eurovoc, la structuration en langage XML des documents parlementaires sont d'ores et déjà des bases pour l'échange d'information. Un réseau d'échange de pratiques basé sur la gestion des connaissances est à l'étude.

La gestion de la qualité grâce à la méthode " Balanced Scorecard "

Roswitha Poll, de l'Université de Münster en Allemagne, présente un projet sponsorisé par le Conseil de la recherche allemande par rapport à un système intégré de gestion de la qualité destiné aux bibliothèques universitaires. La méthode " Balanced Scorecard ", issue du management, est utilisée, le plan de développement de l'institution (mission, stratégie et objectifs) étant traduit en système de mesures de performance. Les indicateurs choisis visent à atteindre le plus grand nombre d'usagers potentiels et à répondre à leurs besoins documentaires : parmi ces indicateurs, l'indice de pénétration de la bibliothèque dans la population, le taux de satisfaction des usagers, le taux de fréquentation, la disponibilité des documents. D'autres indicateurs sont déterminés par voie d'enquête, notamment par rapport à l'utilisation des services électroniques (OPAC, site Internet, bases de données électroniques, revues, fourniture de documents à distance). L'indicateur financier est décliné en calcul de dépenses diverses : dépenses totales par usager, par entrée, comparées avec les coûts d'acquisition, ... Des indicateurs de procédures (temps de traitement d'un document, étapes nécessaires pour fournir un service, un produit), puis des indicateurs d'innovations (budget de la bibliothèque par rapport à celui de l'institution, coûts de formation par agent, ...) complètent le Tableau de bord prospectif.

Au travers de cette série d'exemples plus divers les uns que les autres et représentatifs des préoccupations actuelles au sein de nos professions, il apparaît clairement que les bibliothèques prennent le virage des technologies, utilisent au mieux leurs compétences en interne tout en s'adressant parfois à des moyens externes, développent ces compétences, appliquent des concepts réservés jusque-là au secteur marchand. Les bibliothécaires s'adaptent de manière continue aux demandes du public, proposent de nouveaux services. Face à leur hiérarchie, ils n'hésitent pas à anticiper des besoins nouveaux et à se lancer dans des études prospectives. L'idée largement répandue parmi les documentalistes en France selon laquelle le secteur des bibliothèques n'est pas aussi à la pointe que le secteur de la documentation est démentie par ce dynamisme qu'il est possible de constater quotidiennement. Plus largement, on peut constater des préoccupations communes dans les deux professions par rapport au rôle joué par l'utilisateur et celui de la technologie.

Outre ces constats, le congrès de l'IFLA a permis de voir une autre évolution importante des métiers de l'information : malgré l'affirmation dans les statuts de la Fédération d'un dialogue nord/sud entre professionnels, malgré le développement de programmes destinés aux pays en voie de développement et l'installation d'antennes régionales sur différents continents, l'IFLA s'est souvent vue reprocher d'être trop près des intérêts du monde occidental et de négliger l'hémisphère sud. La présidente en exercice Christine Deschamps a cependant infléchi cette tendance, notamment en visitant personnellement ces régions du monde et en favorisant la venue de boursiers aux congrès (plus de 150 bourses ont été distribuées pour assister au congrès de Boston). Nul doute que l'élection - annoncée lors du congrès - de la prochaine présidente Kay Raseroka, directrice des bibliothèques de l'Université du Botswana, est un signe fort de changement et d'un meilleur équilibre à donner entre le nord et le sud. Première présidente issue du continent africain depuis la création de l'IFLA en 1927, elle succèdera à Christine Deschamps en 2003.

Le prochain congrès de l'IFLA se déroulera à Glasgow du 18 au 24 août 2002, et marquera les 75 ans de la Fédération dont la création remonte à 1927, à Edimbourg précisément. Le thème choisi pour 2002 est : " Des bibliothèques pour la vie : démocratie, diversité, diffusion ".

Les communications présentées lors des congrès de l'IFLA sont en ligne sur le site officiel de l' IFLA. Les traductions françaises effectuées par les membres du Comité français IFLA sont  en ligne sur le site http://www.cfifla.asso.fr

Notes

(1)La FID (Fédération internationale pour l'information et la documentation), réfléchit à une étroite collaboration avec l'IFLA, fédération sœur. Cette collaboration pourrait aller jusqu'à une prochaine intégration de la FID par l'IFLA.

(2)Le projet est consultable en anglais à l'adresse : http://www.vn.fi/english/public_management/guidelines.html

(3)Standards and Guidelines Committee, Reference and User Services Association (2000). Guidelines for Information services. [Web Page]. URL  http://ala.org/rusa/stnd_consumer.html [2001, May 31].

cop. JP Accart, 2001

 

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