La Profession

(2004) - SMSI: les conséquences pour les professionnels de la documentation.

 Journée d’étude à la Bibliothèque Nationale de France

Les bibliothèques dans la société mondiale de l’information

le lundi 1er mars 2004

Association des bibliothécaires français – Section Etude & Recherche

présidée par Anne Le Lay, Présidente de la Section Etude & Recherche

Que retenir du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI) qui s’est tenu à Genève en décembre dernier ? De nombreux articles critiques sont parus dans la presse qui posent la question de l’intérêt et de la portée d’un tel sommet. Cependant, si l’on regarde le taux d’affluence des personnes présentes durant les trois jours de la manifestation - soit 175 pays représentés et 4500 délégués, 20 000 entrées enregistrées au total, 500 journalistes - il est possible de dire qu’il n’a pas laissé indifférent. Les résolutions finales font apparaître des divergences importantes selon les pays et la fracture numérique est encore loin d’être comblée. Du point de vue des bibliothèques, l’IFLA (International Federation of Library Associations and Institutions) n’a jamais investi autant de moyens pour faire reconnaître la position des bibliothèques dans la société de l’information.

Un pré-sommet IFLA/SMSI

L’initiative d’un pré-sommet IFLA/SMSI revient aux bibliothécaires suisses suite au Congrès de l’IFLA à Glasgow en 2002 : la candidature de la Suisse pour un prochain congrès de l’IFLA n’ayant pas été retenue, un certain nombre de professionnels suisses ont proposé aux instances de l’IFLA d’organiser une réunion préparatoire en novembre 2003. Pour cette occasion, un groupe d’intérêt s’est formé au sein de la BBS (l’Association des bibliothécaires suisses), le SLIR (Swiss Librarians for International Relations). Durant plus d’une année, plusieurs équipes ont préparé le pré-sommet du point de vue logistique, financier (notamment l’attribution de bourses pour les bibliothécaires des pays en développement), scientifique. L’IFLA, représentée par ses instances dirigeantes, a été présente à chaque étape. Le pré-sommet des 3 et 4 novembre 2003 qui s’est tenu à l’ONU, a été un succès et a réuni des délégués de quelque 70 pays, permettant ainsi de dégager des lignes fortes quant au rôle des bibliothèques dans la société de l’information. L’IFLA a réussi à ce que les bibliothèques soient mentionnées à plusieurs reprises dans la Déclaration de principes et le Plan d’action du SMSI. C’est une première victoire pour notre profession qui tient - à juste raison – à faire reconnaître son rôle en tant que spécialiste des contenus. Certes, les moyens technologiques pour véhiculer l’information sont essentiels, encore faut-il que les contenus véhiculés par les réseaux présentent un intérêt, une valeur. Cette valeur, que l’on pourrait qualifier de valeur ajoutée, ne repose-t-elle pas aussi sur le travail des bibliothécaires dans la mise en forme de l’information ?

Bibliothèques, bibliothécaires et politique : relations et enjeux

Le 3 novembre dans la Salle des Assemblées de l’ONU à Genève, 7 tables rondes ont été organisées, chacune représentant une région du monde avec comme objectif que les bibliothécaires présents puissent proposer des idées concrètes à réaliser en matière d’accès à l’information à leurs représentants gouvernementaux le 4 novembre. La diversité et la richesse des échanges ont marqué ces réunions, une des difficultés majeures étant que les bibliothèques présentent des caractéristiques très différentes d’un continent à l’autre : la situation politique, la formation des professionnels, le concept même de bibliothèque sont très hétérogènes et ont une implication évidente sur l’accès à l’information. Pour exemple, la zone Amérique latine et Caraïbes possède un espace bibliothéconomique dû plus au dynamisme des professionnels (individus ou associations) qu’à celui des institutions. Les bibliothécaires brésiliens ont lancé une étude sur les bibliothèques scolaires dans l’Etat de Rio de Janeiro pour montrer au gouvernement la nécessité de les développer. Au Pérou, ce sont des initiatives privées et locales qui permettent de développer les bibliothèques. En Guyane britannique, un seul point d’accès gratuit à Internet est offert à la population : la Banque mondiale et l’Unesco ont lancé un projet afin de changer cette situation. Dans d’autres régions du monde, c’est l’accès au réseau électrique ou l’analphabétisation qui représentent les freins les plus importants (Madagascar) ; la question des réfugiés, des personnes handicapées se posent à de nombreux pays (Finlande, Suède…) et ce sont les bibliothécaires qui proposent des solutions adaptées ; en Europe centrale et de l’Est (Serbie notamment), les ressources sont concentrées dans les villes les plus importantes et la fracture numérique est une réalité ; en Asie et en Océanie, la promotion de la lecture en zone rurale est confiée aux associations de bibliothécaires avec l’aide des gouvernements (Thaïlande, Malaisie) ; le Népal, l’Inde ou le Pakistan bénéficient d’un réseau de bibliothèques étendu (au Népal : 900 bibliothèques ; en Inde, ce sont surtout les bibliothèques universitaires qui sont développées). Voici quelques exemples de réalisations concrètes parmi beaucoup d’autres qui montrent certains manques en matière d’accès à l’information, mais également une forte implication des professionnels.

La journée du 4 novembre consacrée aux discussions bilatérales délégués ONU-bibliothécaires fut marquée par une forte attente des bibliothécaires. Malgré l’indisponibilité de certaines délégations gouvernementales, les bibliothécaires présents ont saisi l’occasion qui leur était donnée de rencontrer leurs représentants et d’exposer leurs souhaits. La séance finale de cette conférence permit de réaliser une synthèse globale et les points forts suivants furent exposés : le renforcement des échanges et de la solidarité Nord-Sud ; une place forte à accorder au multilinguisme et au multiculturalisme ; une société de l’information axée sur l’être humain ; un accès à des contenus d’information de qualité sont parmi les points-clés. L’IFLA, en la personne de son secrétaire général Ross Shimon, de sa présidente en exercice, Kay Raseroka et de son futur président Alex Byrne, a adressé dans un communiqué final une déclaration aux membres du Sommet mondial sur la société de l’information : le développement, l’extension des services d’information et de bibliothèques de qualité, la préservation du savoir et de l’héritage culturel peuvent être réalisés grâce à des investissements modérés qui profiteraient à l’ensemble de la communauté mondiale.

Le Sommet de l’information : acteurs, critiques et débats

Début décembre, le SMSI a ouvert ses portes. Quatre acteurs principaux étaient présents : les Etats, les institutions internationales, les entreprises privées (pour l’essentiel concernées par les nouvelles technologies de communication) et les organisations non gouvernementales. Chacun a pu s’exprimer au cours de tables rondes ; les bibliothèques avaient leur table ronde avec les archives. Dès le départ, le principe d’organiser un tel sommet de l’information a été critiqué notamment par les médias ou leurs représentants dont Reporters sans frontières, mais aussi par des chercheurs en sciences sociales. Les raisons, bien compréhensibles, proviennent des différences sensibles entre les pays sur l’interprétation de la notion « d’accès à l’information » qui peut rejoindre de manière assez étroite celle des droits de l’homme. Le fait qu’un certain nombre d’hommes politiques soient présents au Sommet, tel le président tunisien, a suscité des commentaires sarcastiques. Des pays, tel la Chine, n’ont pas la même acceptation de l’accès à information (voir à ce sujet la censure exercée Chine sur certains sites Internet) que l’Europe ou les Etats-Unis. Comment arriver à concilier des positions si différentes, pour ne pas dire divergentes ?

Parmi les autres critiques émises, celle du « techno-centrisme » est revenue à maintes reprises : la société de l’information ne serait-elle finalement qu’une société où l’on se préoccupe plus des « tuyaux » que des contenus délivrés ? Cette critique est due essentiellement au fait que l’Organisation internationale des télécommunications est l’instigatrice du Sommet. Les bibliothèques ne se sentaient guère représentées et il a fallu de longues démarches pour les voir acceptées comme des points d’accès à l’information (pour certains pays, un bureau de poste est un point d’accès à l’information). Une tendance aujourd’hui consiste à penser que la technique est le principal facteur de changement de la société et qu’elle conduit nécessairement vers un avenir meilleur. Ce qui ne va pas de soi et surtout n’est pas nouveau.

Pour les chercheurs en sciences sociales, nombreux à intervenir, le discours véhiculé sur les nouvelles technologies comprend une vision du monde qui n’est pas neutre. Selon Gérard Berthoud, professeur à l’Université de Lausanne et auteur d’un ouvrage sur la société de l’information, « implicitement, il y a pourtant une certaine conception de ce qui est humain et de ce qui ne l’est pas ». Selon lui, la société de l’information (le terme lui-même d’« information » étant difficile à définir) est plutôt une société du conformisme où chacun a l’impression de faire des choix, alors qu’il fait les mêmes que son voisin.

Voici quelques critiques, parmi beaucoup d’autres, du Sommet de l’information dans son ensemble. Quels aspects sont cependant positifs pour les bibliothèques ?

Le Sommet de l’information et les bibliothèques

Même s’il n’a pas rempli toutes les espérances, si l’on s’en tient à notre point de vue, le Sommet a finalement intégré les bibliothèques dans ses débats et les documents finaux : celles-ci n’étaient pas mentionnées à l’origine. Elles sont maintenant reconnues comme point d’accès à l’information. Cette mention, qui peut apparaître simple, est cependant porteuse de sens. L’IFLA, fortement investie dans la défense de nos intérêts, a donné quelques exemples significatifs des bibliothèques dans la société de l’information, parmi lesquels :

  • On décompte 2.5 milliards d’utilisateurs de bibliothèques dans le monde. Soit 2 fois plus que les utilisateurs de téléphones portables dans le monde ou 2 fois la population de la Chine.
  • Les 86% de taux d’instruction du District de Nkayi District au Zimbabwe sont attribués aux bibliothèques ainsi qu’aux bibliothèques mobiles qui permettent aux zones rurales d’accéder à Internet.
  • La Bibliothèque nationale de Roumanie propose plus de kilomètres de rayonnages que les autoroutes dans ce pays.
  • Avec une population mondiale de six milliards d’habitants, les bibliothèques proposent cinq livres par habitant.
  • D’après une étude réalisée en 2002, fréquenter une bibliothèque est la deuxième activité la plus populaire en Europe.
  • Les services de référence des bibliothèques publiques et universitaires répondent à plus de 7 millions de questions par semaine. En mettant les demandeurs sur une seule file d’attente, celle-ci partirait de la cote est et atteindrait la cote ouest des Etats-Unis.
  • Afin de proposer leurs services, les bibliothèques utilisent tous les moyens possibles, des chameaux au Kenya au réseaux Wifi dans le Wyoming.
  • Les autorités locales britanniques dépensent annuellement et collectivement 1.2 milliards de dollars pour les services des bibliothèques publiques. Ce qui représente 20 dollars par personne sur un an ou 38 cents en une semaine. Moins que le prix d’un paquet de chips !

Ainsi politique et culture, économie et information se rejoignent. Une des idées émergentes du Sommet est que les bibliothèques, les bibliothécaires doivent faire du lobbying, du marketing auprès des politiques pour que leur place soit reconnue à leur juste valeur, ils doivent anticiper les besoins, mettre en place des actions qui seront ensuite reprises en concertation avec leur élus sur un plan local, régional ou national.

Le Sommet sur la société de l’information n’en est qu’à sa première édition. La seconde, après Genève, est le rendez-vous fixé à Tunis en 2005. Il faut rester vigilant et attentif pour que les bibliothèques gardent et renforcent leur position dans la société de l’information.

Références

BERTHOUD G. La société de l’information : la nouvelle frontière ?. Lausanne : UNIL, 2002. (coll. Pratiques et théorie des sciences sociales et techniques).

Proceedings of the IFLA Pre-World Summit Conference, Geneva, 3-4 Nov. 2003. The Hague : IFLA, 2003. 142 p.

“La Société de l’information” : dossier. Arbido, 2004, n° 1-2, p. 3-18.

Les sites sur la société de l’information et le SMSI

cop. JP Accart, 2007

 

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