La Profession

(2009) - Vers un nouveau professionnel de l'information ?

in Cahiers de la documentation, 2009, n° 1, p. 4-8

Résumé :

Depuis une dizaine d'années au moins, les professionnels de l'information ont pu mesurer l'évolution de leur métier au sein des organisations et institutions. La composante technique du métier de documentaliste, de bibliothécaire ou d'archiviste est devenue prépondérante : par « composante technique », nous entendons l'ensemble des aspects liés à la numérisation du monde actuel. Plusieurs aspects de l'environnement numérique actuel sont pris en exemple dans cet article : la numérisation, les archives ouvertes, la référence virtuelle, la recherche d'information ou l'e-learning. Hormis l'apprentissage de nouvelles techniques pour s'approprier les nouveaux supports d'information, les professionnels ont investi des champs de recherche de plus en plus pointus et proposé de nouvelles prestations. Leur place s'est modifiée par rapport à cet environnement numérique. Assistons-nous à l'émergence d'un nouveau professionnel de l'information ?

Nouvelles techniques, nouveaux services

De manière perceptible, l'environnement numérique se développe, bibliothèques et services d'information apportant les réponses qu'ils estiment adéquates. Ils mettent en place catalogues en ligne (de plus en plus souvent enrichis), bases de documents numériques, collections de périodiques électroniques tout en adaptant leurs services et prestations aux supports en ligne : l'apprentissage à distance (e-learning) dans le domaine universitaire, fourniture électronique de documents (dans le cadre du prêt entre bibliothèques), renseignements à distance avec les services de référence virtuels sont quelques exemples. La mise en place de cet environnement numérique est rendu possible grâce à l'élaboration de normes, de protocoles d'échanges de données et de formats, facteurs déterminants et favorables aux échanges et partages d'information. La relation avec l'utilisateur s'en trouve modifiée : traditionnellement en « face à face », elle devient virtuelle et utilise les moyens à disposition (la messagerie électronique, le forum, la liste de discussion, le chat, le blog...).

Quelles sont les influences de ce phénomène de numérisation sur les professions de l'information ? On peut citer :

- les documents numérisés, traités selon de nouvelles normes, avec les métadonnées.

- les sources d'information numérisées utilisées pour répondre aux demandes des utilisateurs, que celles-ci proviennent de bibliothèques ou d'opérateurs privés tel Google ;

- les archives ouvertes, les périodiques électroniques, les sites institutionnels ou personnels entrés dans la pratique courante.

- les moteurs de recherche, outils de recherche au même titre que les outils bibliographiques traditionnels.

- le service de référence virtuel, amené à fournir des documents numérisés par le biais de la messagerie électronique.

- les répertoires de signets.

- le prêt entre bibliothèques avec la commande et la réception de documents numérisés.

- les sites Web archivés...

Un tel environnement numérique, qui introduit des évolutions techniques, économiques ou juridiques, doit être pris comme un ensemble, avec des interactions continues. Hormis l'éventail élargi des ressources à disposition, cet environnement permet également de faire évoluer l'offre documentaire vers d'autres services et prestations : par l'intermédiaire des consortiums avec une offre de collections numérisées, par la définition d'offres personnalisées de produits et services d'information (profils de veille, alertes, dossiers sur mesure...). Les professionnels mettent ainsi en avant leur expertise en matière de filtrage et de recherche d'information, développent des réseaux de compétences, se spécialisent de plus en plus. Ils doivent aussi s'adapter à la nouvelle génération dite « génération Google » ou la « génération numérique ».

Nouveaux utilisateurs

Une étude récente de la British Library tente de décrypter le comportement de la « génération Google » en matière d'information [1]. Cette expression désigne ceux qui, nés après 1993, sont appelés aussi, dans la littérature spécialisée « la génération numérique » (Digital Natives). Les constats importants de ce rapport montrent que cette génération est d'une part connectée en permanence (« always on ») et d'autre part qu'elle ne recherche pas une information approfondie, mais qu'en surfant, elle se contente d'effleurer superficiellement les sujets, elle « zappe » rapidement d'un lien à l'autre, sans véritable exploration. Une telle étude montre clairement à quel point la recherche et l'utilisation d'informations de toutes sortes s'insèrent comme allant de soi dans la vie quotidienne des jeunes. Qu'est-ce que cela implique quant à l'orientation à donner aux prestations proposées par les bibliothèques, comment favoriser une information performante et ciblée sous une forme attrayante pour les usagers ? Luki Wijayanti, directrice de la bibliothèque centrale de l'université d'Indonésie, exprime ainsi son point de vue à la conférence « Free Access and Digital Divide » [2] : « Les usagers ont besoin de savoir comment trouver l'information. Pour leur venir en aide, nous devons pénétrer leur mode de vie. En principe, tout est sur la toile, mais parfois ils s'y perdent ». Comprendre les comportements des utilisateurs et adapter en conséquence les offres de la bibliothèque ou du service d'information à leurs besoins, tout en leur apportant les compétences nécessaires à la recherche d'information, devient progressivement une exigence essentielle pour les professionnels de l'information. Il s'agit d'une part de sensibiliser la personne non informée aux contenus qui sont importants et utiles en fonction de ses besoins et, d'autre part, lui apprendre à filtrer les offres non pertinentes. Elle doit être entraînée à évaluer et comprendre les documents, pour en tirer profit et alimenter sa propre réflexion. C'est pourquoi les professionnels de l'information mettent en place des plates-formes d'apprentissage à distance.

Nouvelles sources d'information

La diffusion de l'information s'est considérablement amplifié depuis l'arrivée d'Internet, rendant possible l'accès direct à des documents jusqu'alors introuvables ou confidentiels, notamment la littérature grise ou la littérature scientifique. Mais Internet a également changé la donne dans le secteur économique de la publication scientifique : moyennant une organisation adéquate, les chercheurs tendent  à s'auto-publier. Les archives ouvertes s'inscrivent dans un mouvement et les professionnels de l'information peuvent jouer un rôle dans la mise à disposition de cette information, par le contact régulier et particulier avec les utilisateurs - qui peuvent être des chercheurs ou des scientifiques - pour les inciter à déposer leurs écrits ou à utiliser ceux de leurs confrères.

Si l'on considère le mouvement international, il apparaît que bibliothèques et services de documentation sont au cœur même des changements actuels qui bouleversent la communication scientifique. Il peut s'agir de systèmes « orientés chercheurs » dans

lesquels chaque chercheur peut déposer ses travaux dans des archives thématiques regroupées en un réservoir commun ; ou de systèmes de mise en ligne de toutes les publications d'une institution : dans ce cas, il arrive que les archives ouvertes soient constituées dans le contexte plus large de la gestion des collections d'une bibliothèque.

Ainsi les professionnels de l'information interviennent dès le démarrage des projets

d'archives : en veillant à la récolte systématique des publications dans l'institution, en assurant le traitement documentaire, mais aussi en apportant leur aide aux chercheurs.

Bibliothèques et services de documentation doivent donc participer aux nouvelles pratiques de la communauté scientifique : autrefois partie intégrante de la littérature grise, les prépublications [3] constituent une source d'information incontournable pour un certain nombre de chercheurs. Permettre l'accès à ces ressources et participer à leur mise en ligne apparaît comme un enjeu important. Les universités sont les premiers partenaires à contacter, celles-ci ayant mis en place des dépôts - principalement dans les pays anglo-saxons - dont la gestion peut relever des professionnels de l'information. L'École normale supérieure Lettres et Sciences humaines (ENS-LSH) de Lyon fournit un exemple intéressant en la matière en mettant en place depuis 2003 un serveur d'auto-archivage avec le logiciel E-prints [4]: les sites web des laboratoires de l'école sont généralement le lieu où sont référencées les bibliographies des chercheurs.

Quel est le rôle du professionnel, dans le contexte des archives ouvertes ? Il est multiple :

- Un rôle de formation : par exemple, en sensibilisant les utilisateurs à l'archivage de leurs publications sur un site institutionnel plutôt que sur leur page personnelle ; un site institutionnel permet une forme de validation et autorise l'accès par un identifiant unique garantissant de retrouver l'article quel que soit l'emplacement sur le serveur d'archives ouvertes. Les utilisateurs peuvent aussi être informés sur les outils liés à l'archive ouverte comme les moteurs de recherche, les outils d'évaluation ou de navigation.

- Un rôle de communication : le professionnel peut être amené à élaborer les pages

d'accueil Internet présentant, en introduction aux documents déposés, les laboratoires et départements de l'université et leurs ressources. Il peut communiquer cette information aux chercheurs et étudiants-chercheurs qui fréquentent le service de référence en présentiel ou virtuel.

- Un rôle d'orientation : dans le dédale actuel, complexe, des archives ouvertes, il

sélectionne les archives appropriées pour une recherche d'information et guide l'utilisateur vers ces sources.

Moteur de recherche versus professionnel de l'information

Que peut apporter le professionnel de l'information par rapport à un moteur de recherche généraliste ? Peut-on les opposer ? Qu'est-ce qui les rapproche ? D'emblée, il parait vain et disproportionné de parler de concurrence, car les moyens techniques employés, leur utilisation et le nombre de requêtes en ligne penchent en faveur des moteurs de recherche. Plus connus du grand public, ils remplissent un véritable besoin en cas de recherche ponctuelle ou factuelle. La recherche sur des sujets complexes est cependant difficile, tant que le Web sémantique n'aura pas été développé de manière satisfaisante. Le professionnel a un vrai rôle à jouer dans le tri et la sélection des résultats proposés par les moteurs de recherche. De plus, différentes études montrent que les utilisateurs n'emploient  pas de réelle méthode pour chercher l'information [5] : la formation à l'information (Information Literacy) est à développer.

La recherche d'information proposée par les moteurs de recherche augmente de manière significative : sur Internet, elle a progressé de 24 % en 2007, et Google domine le marché en France avec 86, 7 % des recherches effectuées [6]. Cependant, certains services proposés par des bibliothèques ou des services de documentation - tels les services de référence virtuels - affichent des résultats très satisfaisants en termes de consultations et de demandes : plus de 600 questions par mois sont posées au Guichet du Savoir de la Bibliothèque municipale de Lyon [7] ; SwissInfoDesk, le service de référence virtuel de la Bibliothèque nationale suisse, a vu une augmentation de 26 % en 2007 [8]. Le positionnement de ces services en ligne n'est donc pas négatif, ils ont une certaine visibilité : mais celle-ci doit être renforcée par des campagnes marketing ciblées.

La question de la validation des informations trouvées sur Internet est essentielle : la population des étudiants, le grand public font naturellement confiance aux moteurs de recherche ou aux encyclopédies en ligne type Wikipedia, sans vérifier la véracité ou la validité des informations. La question de la fraude et du plagiat est aussi importante. Les étudiants n'interrogent plus les banques de données professionnelles mises à disposition par les bibliothèques ou services de documentation, et désertent certains services de référence en présentiel, perdant là une réelle opportunité de faire valider leurs travaux, ou leurs recherches, par des experts.

La relation de service virtuelle avec l'utilisateur

Deux exemples peuvent être donnés qui montrent qu'à l'évidence Internet permet de prolonger
la relation de service avec l'utilisateur : l'apprentissage à distance ou e-learning et le service de référence virtuel.

Par « apprentissage à distance », nous entendons par exemple les didacticiels de recherche d'information élaborés par certaines universités et qui trouvent leur place sur des plates-formes d'information plus générales comprenant des cours en ligne, des exercices, des vidéos... [9] L'Union européenne définit l'E-Learning « comme l'utilisation des nouvelles technologies multimédia de l'Internet pour améliorer la qualité de l'apprentissage en facilitant d'une part l'accès à des ressources et à des services, d'autre part les échanges et la collaboration à distance » [10].  Les services proposés les professionnels de l'information rentrent dans ce cadre car ils peuvent être un réel outil d'apprentissage pour la recherche d'information :

  • - par le lien direct entre l'utilisateur et le professionnel (via la messagerie, le chat, le forum de discussion ou la plateforme web);
  • - suite à l'entretien de référence qui indique à l'utilisateur une marche à suivre pour repérer et trouver l'information dont il a besoin;
  • - par des outils en ligne mis à disposition: un didacticiel de recherche d'information; un répertoire de signets, véritable outil d'orientation pour la recherche...

Le service de référence virtuel est un autre exemple : en présentiel, le service de référence permet d'instaurer une véritable relation de service entre l'utilisateur et le professionnel de l'information. L'un et l'autre élaborent ensemble une stratégie de recherche d'information, ils apportent chacun des éléments essentiels à la résolution d'un problème ou d'une question posés (savoirs professionnels et techniques sont alors mobilisés). Sous la forme virtuelle, le service de référence prolonge cette relation de service : la technique actuelle permet de dialoguer et d'échanger sous forme écrite (par messagerie ou par système de dialogue en simultané tel Twitter [11]), mais également orale (avec le chat) ou par contact visuel à distance. La technologie actuelle, associant textes, images et sons sur le web développe véritablement les possibilités de contact à distance avec l'utilisateur.

En conclusion, il apparait clairement que le professionnel de l'information change de rôle, même s'il conserve ce qui fait sa particularité. La technologie lui permet d'intensifier sa présence et de mettre ses compétences à disposition de manière encore plus optimale qu'auparavant. L'appropriation des moyens technologiques actuels est donc un impératif, de même que la participation aux projets : toutes les opportunités doivent être saisies pour que le professionnel se positionne au sein de l'entreprise ou de l'institution comme un partenaire central.

JP Accart

cop. 2010

Références

Accart Jean-Philippe. Les services de référence. Du présentiel au virtuel, Paris : Ed. du Cercle de la Librairie, 2008. 283 p.

Accart Jean-Philippe ; Mounier Evelyne. Archives ouvertes et documentation : rôle et responsabilités des professionnels de l'information, in Les Archives ouvertes. Enjeux et pratiques. Guide à l'usage des professionnels de l'information, sous la dir. de C. Aubry et J. Janik,  Paris : ADBS, pp. 245-268.

Benoist D. Référence virtuelle. Quel rôle face aux moteurs de recherche ? Bulletin des bibliothèques de France, 2007, t. 52, n° 6, pp. 25-27.

Guide pratique : La bibliothèque à l'heure du web 2.0. Archimag, n° 33, 80 pages.

Pintat R. Archives ouvertes et logiciels libres - une alternative à la subordination des bibliothécaires aux éditeurs numériques. Bulletin des bibliothèques de France, 2003, t. 48, n° 2, pp. 90-94.

Reference librarians and institutional repositories. Reference Services Review, 2005, vol. 33, n° 3, pp. 301-311.

Stephens M. Web 2.0 & Libraries, Part 2, Trends and Technologies, sept.-oct. 2007, vol. 43, n° 5, 45 p.

Voir : http://www.bl.uk/news/pdf/googlegen.pdf

Voir : http://www.b-i-t-online.de/heft/2008-02/report1.htm

La prépublication désigne les versions d'un texte produit par un (des) auteur(s) avant acceptation par un comité de rédaction et éventuellement par un comité de lecture (évaluation par les pairs). Synonymes pré-publication ; pre-print ; preprint ; travaux en voie de publication. En anglais preprint. (Définition Open Access INIST:

http://openaccess.inist.fr/article.php3?id_article=109).

E-prints : http://www.eprints.org/

Voir Berger E., Nguyen C., Rose V., Les usages d'Internet chez les étudiants de l'Ecole normale supérieure Lettres et Sciences humaines, Villeurbanne, Enssib, 2005. Diplôme de conservateur de bibliothèque. 144 p.

In "Les requêtes sur le Web sont en forte progression", Le Monde, 8 février 2008.

Voir : http://www.guichetdusavoir.org/

En rien comparable avec le Guichet du Savoir qui répond à tout type de question, SwissInfoDesk est un guichet virtuel spécialisé sur la Suisse : le nombre moyen de questions posées par mois se situe entre 100 et 120 demandes en 2007.

Voir le didacticiel CALIS de l'Université de Genève : http://www.unige.ch/biblio/ses/calis/index.html

Voir : http://europa.eu/scadplus/leg/fr/cha/c11073.htm

[11] Voir : http://www.twitter.com/

 

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