Les études de cas

(2011) - Une bibliothèque est aussi un lieu physique

La rénovation de la Bibliothèque de la Faculté des Sciences à l'Université de Genève 

publié dans : Argus, vol. 39, n° 3, hiver 2011, 31-34 et dans Archimag « Bibliothèques : les nouveaux usages », février 2011, p. 82-84 sous le titre : "Cadre de vie : rénovation de la Bibliothèque Ernst et Lucie Schmdheiny à Genève » in Guide pratique .

ernst

RÉSUMÉ :

Le lancement d'un projet comme la construction ou la rénovation d'une bibliothèque représente toujours un défi : défi à la fois professionnel et personnel, architectural, culturel et politique souvent. Dans le cas qui nous occupe, il s'agit de la rénovation d'une bibliothèque déjà existante, celle de la Faculté des Sciences à l'Université de Genève, sise au rez-de-chaussée de la Faculté, au bord d'une rivière - l'Arve, affluent du Rhône - en pleine ville de Genève, dans l'un de ses quartiers populaires  peu connu des touristes fortunés et des hommes d'affaires, la Jonction. L'article décrit la réflexion qui a présidé à cette rénovation, puis la démarche projet mise en place, ainsi que le travail d'étroite collaboration mené entre la Fondation Schmidheiny qui a financé la rénovation, les bibliothécaires et la Faculté des Sciences dans son ensemble.


Une bibliothèque est aussi un lieu physique : la rénovation de la Bibliothèque de la Faculté des Sciences à l'Université de Genève

Points négatifs et positifs : le pourquoi d'une rénovation nécessaire

Le bâtiment actuel (communément appelé Sciences 2) est représentatif de l'architecture des années 1970 : béton, acier et verre prédominent, avec cependant une présence importante du bois d'acajou sur de grandes surfaces à l'intérieur du bâtiment. Le tout donne une impression de lourdeur, l'atmosphère y est sombre, malgré les baies vitrées. Pour ce qui est des points négatifs, l'ancienne bibliothèque n'échappe pas à cette description, l'éclairage étant véritablement un point faible, un plafond de couleur marron qui malgré sa hauteur donne une impression d'écrasement, un mobilier d'époque, très solide et peu esthétique (seules les étagères ont été changées). Bien qu'ayant était refait il y a quelques années, le sol pâtit d'une moquette qui renforce l'idée d'un lieu triste et sans harmonie véritable. Une banque d'accueil, installée depuis cinq ans seulement [1], est située à gauche de l'entrée principale, derrière un pilier...  montrant ainsi que l'accueil des usagers n'est pas une priorité. Les bibliothécaires (une dizaine) ne sont pas mieux lotis : ils partagent, pour la plupart, un grand bureau paysager meublé de manière complètement disparate et donnant sur une cour intérieure. Les collections (à peu près 70 000 ouvrages) sont stockées sur une dizaine d'étagères parallèles dans l'espace central de la bibliothèque, renforçant l'idée d'être plus un espace d'archivage qu'un lieu vivant tel que peut l'être une bibliothèque.

Pour les points positifs, la fréquentation (essentiellement des étudiants et des assistants, quelques professeurs et lecteurs extérieurs) est bonne, les usagers occupant sur des périodes de temps assez longues les quelque 120 places à disposition (incluant places de travail et une vingtaine de postes informatiques) sur les 1200 m2 que compte la bibliothèque, ce qui en fait une bibliothèque de moyenne importance : il faut cependant préciser que cette bibliothèque (dite « centrale ») fédère un réseau de six autres bibliothèques scientifiques réparties dans Genève [2] ce qui évidemment multiplient la surface et les places de travail disponibles.  Bénéficiant d'un plateau central imposant, d'une entrée au rez-de-chaussée du bâtiment de la Faculté avec une entrée indépendante à l'arrière pour l'ouverture du week-end, la bibliothèque centrale comporte, sur les côtés, deux niveaux (inférieurs et supérieurs) avec des espaces de travail plus isolés et appréciés des étudiants. Cette architecture, somme toute très rectiligne, est cependant bien adaptée à une bibliothèque et explique le fait que, malgré tout, les usagers la fréquentent.

Cependant, la Faculté est consciente du fait qu'après 40 années, une rénovation est nécessaire, si ce n'est impérative, et lance pour cela une démarche projet qui se décline en grandes étapes.

Les grandes étapes du projet de rénovation

1ère étape : la mise en place du groupe de projet

La réflexion sur la rénovation est engagée dès 2008 avant l'arrivée du futur chef de projet : l'équipe de bibliothécaires participe à une consultation en la matière demandée par l'Administration de la Faculté afin de voir les corrections possibles, et une nouvelle répartition des tâches est également décidée au sein de l'équipe. C'est un des points les plus intéressants du projet : une remise à plat complète des tâches en parallèle aux futurs travaux [3].

Jusqu'à mars 2009, la Bibliothèque des Sciences, contrairement aux autres bibliothèques de facultés [4], n'avait pas de direction propre, mais une coordination. Au 1er mars de cette année 2009 est donc recruté un directeur dont la mission principale est de mener à bien le projet de la nouvelle bibliothèque : un projet doit être monté et présenté devant une fondation privée qui finance depuis de nombreuses années l'Université de Genève, la Fondation Ernst et Lucie Schmidheiny [5], du nom d'une vieille famille suisse de l'industrie. La Faculté des Sciences, représentée par son doyen, décide que la bibliothèque est un projet prioritaire qui doit être soutenu auprès de la Fondation. Le chef de projet est chargé de mettre sur pied un groupe de projet. Celui-ci comprend, outre le doyen, le vice-doyen chargé de la bibliothèque et l'administrateur de la Faculté, des responsables des bâtiments de l'Université, un membre du Service suisse aux bibliothèques (société privée pour l'agencement et le mobilier de bibliothèques) [6] et un architecte : le choix se porte sur le PlanungsBüro Chevalier, société de conseil ayant une longue expertise en matière de bibliothèques suisses [7]. Le choix du signaléticien intervient plus tard en milieu de processus.

2ème étape : les grandes lignes du projet et l'acceptation de la Fondation

Une fois en place, le groupe de projet se réunit en moyenne une fois par mois : il a jusqu'au mois de mai suivant pour le montage du projet. Ce sont bien évidemment les grandes lignes qui sont décidées, l'architecte étant chargé du concept général :

  • - l'utilisation de l'architecture intérieure d'origine comprenant le bois d'acajou, le béton et l'acier; l'ensemble doit être complètement remis à neuf;
  • - les espaces sont répartis différemment: une porte d'entrée modernisée; un accueil identifié et visible depuis l'entrée; un autre agencement pour les collections réparties selon des zones thématiques mais sur la même surface qu'auparavant; une salle de formation équipée de postes informatiques; des cabines de travail de groupe pour les étudiants; des collections de périodiques archivées en compactus mais accessibles au public; des bureaux reconfigurés pour les bibliothécaires;
  • - une contrainte cependant: ne pas réduire le nombre de places de travail, ni le métrage linéaire nécessaire aux collections et à leur développement (l'ajustement est donc constant tout au long du projet);
  • - tout l'habillement intérieur est à revoir et à renouveler: faux plafonds; moquette; éclairages, mobilier...

Le principe général accepté par le groupe de projet est véritablement d'offrir aux usagers un lieu de travail et de vie confortable, accueillant et offrant les meilleures technologies. De plus, aux trois sections d'origine (Sciences pharmaceutiques, Biologie, Chimie) s'ajoutent celle de Physique, soit quelque 13 000 ouvrages supplémentaires à recoter selon la Classification décimale universelle (CDU) pour l'intégration dans la collection générale.

Le 26 mai 2009, le Conseil de la Fondation Schmidheiny approuve le projet en présence du Recteur de l'Université de Genève, M. Dominique Vassali et du Décanat des Sciences. Une somme de 2 millions de francs suisses est allouée pour ce projet.

3ème  étape : premiers travaux, premières déconvenues

La question des collections et de leur accroissement - malgré l'arrivée massive du numérique dans le domaine des sciences [8] -  étant cruciale, deux compactus (un en sous-sol, et le second directement accessible  dans une des galeries) sont construits, d'anciens sont détruits de septembre à novembre 2009, et l'autorisation officielle de procéder aux travaux est accordée d'autant plus facilement que le projet ne prévoit pas de murs à casser ou de modifications dans la structure même du bâtiment. La 1ère tranche des travaux doit avoir lieu de février à mai 2010 avec une fermeture partielle de la bibliothèque, puis une deuxième tranche finale de juillet à septembre 2010 pour réouverture lors de la rentrée universitaire. Des tests faits dans les canalisations d'eau montrent la présence infime d'amiante dans l'isolation des tuyaux, à l'instar de pratiquement tous les bâtiments construits à cette époque. Le service de sécurité de l'Etat de Genève demande alors la fermeture compète des locaux, le déménagement des collections et surtout des bureaux en vue d'un désamiantage complet des locaux. Une bibliothèque provisoire est alors installée en étage et fonctionne d'avril à septembre 2010 avec tous les services ouverts aux usagers, les collections d'ouvrages ayant pu être stockées en sous-sol.

4ème étape : les choix opérés par l'architecte et le chef de projet

Dans ce type de projet, la relation de confiance qui s'instaure entre l'architecte désigné et le chef de projet est primordiale. En l'occurrence, cette relation s'installe très vite au vu des compétences de l'architecte qui a une expérience importante en matière de bibliothèques et de conduite de projets. Les choix sont en premier lieu discutés entre ces deux protagonistes, en plein accord, puis ensuite présentés au groupe de projet, la décision finale (en cas de litiges) revenant au doyen de la Faculté. Couleurs, matières, matériaux sont examinés ; répartition des collections, délimitation des zones d'accueil, de travail, de bureaux, de consultation sont décidés,  ainsi que les différents types de mobiliers (tables, chaises, étagères, banque d'accueil...). Très vite, la désignation d'un signaléticien s'avère nécessaire : l'architecte propose alors l'Atelier Roger Pfund [9], célèbre graphiste suisse connu pour les billets de banque suisses et les portraits récents géants ornant l'Université de Genève pour ses 450 ans. L'Atelier est alors désigné pour dessiner un concept global signalétique, concept qui s'accorde avec celui élaboré par l'architecte : cela permet notamment le choix définitif des couleurs de la future bibliothèque Schmidheiny, gris au sol avec des bandes rouges pour délimiter certaines zones, rappel du rouge sur les piliers en béton, panneaux d'affichage et plan de la bibliothèque rouges également et immenses portraits des fondateurs, M. et Mme Schmidheiny à l'entrée. Il est évident qu'il n'est pas toujours évident de faire comprendre à des artistes ce qu'est réellement une bibliothèque, car ils privilégient avant tout l'esthétique sur l'aspect pratique. Mais petit à petit, à force de discussions, de rendez-vous, une identité visuelle de la future bibliothèque prend forme, pour former un concept définitif approuvé par l'ensemble du groupe de projet. Parallèlement, les choix du mobilier, des éclairages sont faits et les commandes sont lancées auprès des fournisseurs, avec des adaptations constantes (réduction ou commandes de mobilier supplémentaire).

5ème étape : reprise des travaux et réouverture

En juin 2010, le désamiantage complet de la bibliothèque prend fin, et les travaux peuvent reprendre. S'engage alors une course contre la montre, car il reste tout à faire pendant les mois d'été : faux-plafond à chang
r intégralement, électricité et câblage à remettre aux normes, boiseries et huisseries en acier à rénover, sol et piliers à poncer... Les responsables du bâtiment mobilisent alors les entreprises nécessaires, et les réunions de chantiers hebdomadaires en présence du chef de projet s'avèrent très utiles pour régler la multitude de détails en suspens : comment combler tel espace ; comment remplacer tel panneau abîmé pendant les travaux ; faut-il déplacer tel ou tel prise électrique etc. Les contacts avec l'architecte, les signaléticiens, les entreprises s'intensifient au fur et à mesure que les travaux avancent. Ceux se terminent fin août 2010, le mobilier est livré et installé ainsi que la signalétique, la nouvelle bibliothèque est réouverte le 20 septembre, jour de la rentrée universitaire. L'inauguration officielle a lieu le 18 octobre en présence d'officiels, de politiques et de personnalités du monde bibliothéconomique suisse.

Bilan

Le résultat est une vraie réussite, les usagers sont très satisfaits, ainsi que les bibliothécaires et la Faculté des Sciences dans son ensemble. Le tout donne un ensemble très harmonieux, lumineux et coloré sans l'être trop. Cela n'aurait pas été possible sans un choix de partenaires compétents, sans une étroite coopération entre l'architecte, les signaléticiens et les bibliothécaires. La Fondation Schmidheiny a également participé activement à tous les choix, ce qui s'est avéré très important pour le projet lui-même : cela a permis de réduire certains postes financiers pour en privilégier d'autres au fur et à mesure des choix et des décisions. Evidemment, tout ne fut pas très facile et certains choix demeurent contestables (un sol moquetté par exemple quand on sait la difficulté de maintenir des locaux propres à l'université) ; le suivi des travaux n'est pas non plus très facile, notamment dans la multitude de détails à solutionner. La compréhension de ce qu'est une bibliothèque - un lieu d'accueil et de travail, et non pas un lieu d'archivage - pour des non-usagers demande une explication quasi permanente aux différents interlocuteurs. Il faut également convaincre les bibliothécaires de l'importance de certains choix, tout en en  abandonnant d'autres. Il faut donc beaucoup de persévérance, de pouvoir de conviction et de diplomatie pour que toutes les pierres du projet s'imbriquent correctement. Mais, au bout du compte, le résultat est probant !

cop. Jean-Philipe Accart 2012


Encadré : Obtenir des fonds privés.

En pleine crise économique, il apparaît étonnant qu'une fondation accorde deux millions de francs pour rénover une bibliothèque. Plusieurs éléments contribuent à ce financement :

  • - le domaine des sciences est un domaine très porteur, pour lequel l'Université de Genève est reconnue internationalement;
  • - la Suisse a moins souffert de la crise économique que l'Europe en général;
  • - les liens très étroits entretenus entre la Fondation Schmidheiny, la Faculté des Sciences et l'Université de Genève et ce, depuis plusieurs années;
  • - le fait de proposer un projet d'une certaine envergure, pour servir une population qui en a un véritable besoin, les étudiants et le corps enseignant de la Faculté:
  • - le peu de contraintes de la part de la Fondation si ce n'est que la bibliothèque change de nom et d'identité visuelle; cela donne une réelle visibilité à la Fondation qui jusqu'ici finançait plutôt des micros projets;
  • - le fait que ce soient des fonds privés a permis au projet d'avancer très vite, puisque les entreprises ont été payées directement par la fondation sans les délais d'attente imposés par l'Université.

Encadré : 3 conseils de bonne pratique

  • 1) Un tel projet demande l'adhésion de l'équipe dans son ensemble et de la direction de l'institution, même pour un certain nombre de détails.
  • 2) Un groupe de projet cohérent est à constituer pour les grandes orientations, avec des experts de chaque domaine.
  • 3) Le choix de l'architecte et du chef de projet est primordial pour la réussite globale du projet.

Notes

[1] L'accueil, auparavant, se faisait dans un des bureaux des bibliothécaires.

[2] Le réseau BiblioSciences comprend, outre la bibliothèque centrale à Sciences 2 qui rassemble les sections de Physique, Chimie, Biologie et Sciences pharmaceutiques, les bibliothèques des départements suivants : Sciences de la Terre, Environnement, Mathématiques, Astronomie, Informatique, Anthropologie. Voir :  http://www.unige.ch/biblio/sciences/infos.html

[3] Cette étape n'est cependant pas abordée dans cet article.

[4] Il y a - en 2009 - 8 bibliothèques de facultés à l'Université de Genève (outre les Sciences) : Sciences économiques et sociales, Psychologie, Droit, Médecine, Lettres, Théologie et Centres inter-facultaires

[5]  http://www.fondation-schmidheiny.ch/

[6]  http://www.sbd.ch/fr/portrait_f/sbd_f/cooperation_avec_l_ekz.htm  

[7]  PlanungBüro Françoise Chevalier - Thun : contact chevalier.f@bluewin.ch

[8] Cet accroissement concerne pour l'instant les périodiques électroniques, mais les ouvrages et mongraphies sont toujours papier.

[9] Site Atelier Roger Pfund (communication visuelle) :  http://www.atelierpfund.ch/fr/arp/accueil.html

 

{

Abonnement

Recevez chaque mois par mail l’Edito et les mises à jour du site. Entrez votre adresse e-mail:

Nom:
Courriel: