Les réseaux

(1998) - Internet et les réseaux : nouvelles formes de travail.

Le Micro Bulletin du CNRS, 1998, n° 73, pp. 80-87.

Résumé:

L'article fait état de la recherche actuelle sur la nature et l'extension du travail en réseau et plus précisément du télétravail aux Etats-Unis et en Europe. Le travail en réseau ou télétravail est une nouvelle forme de travail qui est encore en processus d'évolution. L'article donne tout d'abord une définition élargie du télétravail, développe ensuite les différents types de technologies utilisées et qui sont les télétravailleurs. Les implications sociales et économiques sont détaillées et en conclusion sont donnés les aspects humains du télétravail.

Introduction: comment définir le travail en réseau ou télétravail ?

Le travail en réseaux et, par extension, le télétravail, ne sont pas un phénomène isolé, facilement mesurable, mais au contraire, comprennent une grande variété de types d'emplois n'ayant en commun que le fait qu'ils impliquent une relocalisation du travai facilité par l'utilisation combiné des technologies de l'information et de la communication. On peur distinguer deux grandes catégories:

  • les formes individualisées du télétravail, ce qui implique que le travail est transporté loin des locaux de l'employeur. Ceci peut inclure:
    • le télétravail localisé chez soi,
    • le travail mobile ou délocalisé en plusieurs endroits
  • les formes collectives de télétravail situées dans des lieux ailleurs que chez soi et contrôlées par un employeur ou une tierce personne Ces formes de télétravail comprennent :
    • la relocalisation des fonctions des services intérieurs vers des sites éloignés ayant leur spécificité fonctionnelle - ceux-ci pouvant être décrits comme des bureaux satellites ou des centres d'appel
    • la sous-traitance du travail vers des "telecottages" (en anglais) d'autres organisations (également connues sous la dénomination de "télécentres", "centres de ressources extérieures", " centres communautaires de ressources ", ou "centres de ressources informatiques " ou " bureaux d'études ")
    • le développement du travail d'équipe redistribué grâce à l'aide de l'outil informatique au sein d'organismes sur plusieurs sites, permettant une répartition des fonctions qui, auparavant, devaient être réalisoes sur un seul site localement indépendant
    • l'utilisation des liens télématiques pour développer des relations de collaboration entre entreprises, créant ainsi de nouvelles formes de réssaux ainsi que des partenariats ; ces entreprises sont parfois appelées "entreprises virtuelles".

Aucune définition universelle du travail en réseau ou télétravail ne peut étre donnée avec rigueur et sans ambiguité. Le terme est utilisé dans une grande variété de sens, dans des contextes différents. En fait, puisqu'il s'agit comparativement d'une nouvelle forme de travail, elle-même en pleine évolution, il serait probablement indésirable d'essayer de lui imposer une forme rigide.

Le point le plus utile à partir duquel on peut entreprendre toute recherche sur le sujet est le suivant: l'introduction des nouvelles technologies en matière d'information et de communication (NTIC) a permis l'ouverture d'une gamme de nouvelles options au sein de l'organisation du travail.

NTIC et organisation du travail

Directement ou indirectement, les nouvelles technologies en matière d'information et de communication ont facilité des changements dans:

  • la localisation du travail,
  • l'organisation des heures de travail,
  • la combinaison de compétences exigées pour des tâches bien précises,
  • les arrangements contractuels,
  • les structures organisationnelles.

L'expression "télétravail " peut être considérée comme la conséquence de certains de ces changements. On la considère comme l'une des formes d'adaptabilité ou de souplesse dans le travail, plutôt qu'une forme particulière de travail. A partir de ce qui est disponible sur le marché, il ressort que cinq catégories de télétravail sont significatives:

  • Le travail à domicile lui-même subdivisé en:
    • le télétravail situé en partie chez soi et en partie dans les locaux de l'employeur, ce qui pourrait être appelé " le télétravail partiellement à domicile ",
    • le télétravail entièrement situé à domicile et réalisé exclusivement pour un seul employeur ou intermédiaire, ce qui peut être appelé "télétravail à temps plein, à domicile, pour un seul employeur ",
    • le télétravail entièrement à domicile mais réalisé par des employés en "freelance ", pour plusieurs employeurs ou clients différents, ce que l'on pourrait appeler " le travail à domicile en freelance".

     

  • Le télétravail mobile
    Les télécottages sont des lieux équipés en matériel informatique: réscaux, multi-media, ...

     

  • Les fonctions internes de l'entreprise relocalisées (le télétravail inter-entreprise)

     

  • Les fonctions internes exportées à partir de télécottages ou de télécentres ou par des sous-traitants commerciaux (le télétravail inter-entreprise)

     

  • L'utilisation de liens télématiques entre les organismes

Les travailleurs en réseaux: quelques statistiques

Des essais ont été tentés aux Etats-Unis pour estimer le nombre de travailleurs en réseau (télétravailleurs) à partir de la fréquence des installations informatiques chez les particuliers et des usages qu'ils en fontdéclarés.
Pendant les annéss 80, par exemple, un sondage a montré que 40% des propriétaires d'ordinateurs personnels les utilisaient pour compléter chez eux du travail rapporté du bureau ; avec une plus petite proportion (27%), certains déclaraient l'utilisation d'ordinateurs à domicile pour leur profession. Une autre étude, par Yankelovitch, Skelly & White, a montré que 33 % des détenteurs d'ordinateurs personnels les utilisaient en premier pour leur profession Une étude IBM a montré que 60% de ses ordinateurs vendus à 200$ ou plus, pièce, étaient utilisés à la maison et qu'environ plus de la moitié de ces ordinateurs étaient principalement utilisés dans un but professionnel. De plus, 11% des ces ordinateurs faisaient la navette entre la maison et le bureau.

L'étude d'Olson auprès de 598 lecteurs de la revue "Datamation " a montré que 64, 5% de ces professionnels de l'informatique travaillaient parfois chez eux en plus de leurs heures de bureau régulières, que 12, 4% d'entre eux le faisaient comme remplacement occasionnel et que 6, 2% travaillaient exclusivement à partir de chez eux.

Plus récemment, on a essayé d'estimer le nombre de travailleurs mobiles à partir des ventes de matériels portables, comme les téléphones et les ordinateurs portables. En 1994, par exemple, des ingénieurs-conseils de la Link Ressources, située à New York, ont obtenu des informations (avec d'autres sources) leur permettant de donner l'évaluation suivante: actuellement, il existe sept millions de télétravailleurs mobiles aux USA, avec la prévision d'une augmentation jusqu'à 25 millions en l'an 2000.

Les professionnels de l'information et les réseaux

Les professionnels de l'information ont recu une définition de leur profession par les ministères du Transport et du TravaiI aux Etats-Unis : ce sont des individus dont l'activité économique essentielle recouvre la création, le traitement, la manipulation ou la distribution de l'information. Il est prévu que les professionnels de l'information aillent en augmentant: de 73 millions en 1993, ils passeraient à 80 millions en 2002 et dépasseraient les 85 millions en 2010. En complément de ces prévisions, le télétravail prendra vraisemblablement de l'extension. De plus, on présume que le pourcentage des télétravailleurs à domicile baissera, passant de 99% in 1992 à 50% en 2002 au profit d'un pourcentage en augmentation pour les télétravailleurs installés dans des centres de télétravail, et que la moyenne de travail hebdomadaire pour le télétravail passera de 1 à 2 en 1992 et de 3 à 4 en 2002.

Implications sociales et économiques du travail en réseau

Les conséquences sur les transports

Les conséquences sur le transport sont d'une importance primordale dans toute discussion impliquant le télétraval et ses vastes conséquences sociales et économiques. Dès les débuts de ce qui a pu être écrit sur le sujet, l'accent a été mis presque exclusivement sur les avantages qu'implique la substitution de la communication électronique au déplacement physique. Cela peut inclure:

  • réduction de la consommation d'essence et des kilométrages de voiture,
  • I'influence des télécommunications sur la circulation et les transports,
  • Ies effets sur l'énergie et l'environnement,
  • Ies coûts énergétiques liés à l'installation de nécessaires infrastructures de télécomunications,
  • Ies coûts de la livraison des services (qui, autrement, ne sont accessibles qu'en centre - ville par des emplovés de bureau).

Cela peut inclure également une plus grande utilisation de l'enseignement à distance basé à la maison, le développement des transactions bancaires à domicile, le videotex, la vente à distance et les activités de loisirs à domicile utilisant des applications informatiques multimedia.
On peut prévoir une plus grande utilisation du télétravail basé à domicile, des téléconférences et de l'échange électronique des données.

Les conséquences commerciales et industrielles

Le télétravail promet de devenir un important instrument permettant d'améliorer la concurrence et de générer de nouvelles opportunités commerciales et d'emploi: les technologies impliquées peuvent former la base de nouvelles industries et services, la productivité et l'efficacité des entreprises peuvent être améliorées, de nouvelles formes de travail en équipe, de collaboration, et de "télépartenariats" peuvent être créées; une relocalisation du travail dans des zones économiquement défavorisées peut ainsi être facilitée, diversifiant les économies locales et créant des alternances.

Les aspects humains du travail en réseau

Les aspects humains du télétravail sont de plusieurs ordres et notamment son implication sur les horaires de travail, sur le chômage, sur le développement des services, sur la productivité et sur l'égalité des chances:

  • Assurément, le télétravail peut faciliter la restructuration des horaires de travail, permettant d'introduire le travail partiel, le partage du travail et encore d'autres formes flexibles du travail. Un point qui a pu être observé est celui de la plus grande productivité des télétravailleurs, celle-ci augmentant d'environ 20%. Un télétravailleur produit un rapport plus rapidement qu'un travailleur comparable situé dans un bureau.
  • Le télétravail pourrait aider à réduire le chômage et amener sur le marché du travail des groupes qui en étaient exclus auparavant parce qu'ils n'étaient pas en mesure de se proposer pour des travaux à temps complet.
  • Les nouvelles technologies peuvent apporter des améliorations dans la qualité de la vie par l'introduction de nouveaux services tels que la télémedecine, les services bancaires à distance et les achats à distance.

L'égalité des chances ouvre d'autres possibilités. Par exemple:

  • les personnes souffrant de handicaps représentent des groupes pouvant énormément bénéficier des nouveaux avantages offerts par le travail à distance et l'ouverture qu'offre le télétravail,

     

  • I'égalité des sexes: sans la possibilité d'être des télétravailleuses, bien des femmes n'auraient pas du tout accès au monde du travail: elles peuvent combiner ainsi leurs responsabilités domestiques avec le télétravail effectué chez soi, ce système permettant une grande flexibilité d'horaire. Par contre, elles n'ont pas de perspectives de promotion et leurs niveaux de salaires sont plus bas que ceux offerts pour un travail comparable sur un même site.

En conclusion

Des recherches conjointes pourraient être menées, afin d'étudier les formes individueles du télétravail, et on pourrait même les quantifier de manière satisfaisante au moyen d'une enquête générale sur la population et à l'aide d'informations complémentaires.

Malgré une production croissante d'informations sur le "village global ", les relations, d'une part, entre l'introduction des nouvelles technologies en informatique et en communication, et, d'autre part, la relocalisation supplémentaire
e l'emploi, restent un domaine de recherche sous-exploité, il y a un réel besoin de recherche continue dans ce domaine, incluant des études fournies par des employeurs, des études de cas, des analyses secondaires de l'état du commerce existant, et des statistiques sur l'emploi.

References

(1) BERARD D., VEAUX S. Le Télétravail: dossier documentaire. Lyon: ANACT, 1996.
(2) GILLEPSIE A. Review of Telework in Britain: Implications for Public Policy. Centre for Urban and Regional Development Studies, Newcastle upon Tyne, 1995.
(3) HIRST P., THOMPSON G. Globalisation in Question. Polity Press, 1996.
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(5) HUWS U. Follow up to the White Paper-Teleworking. European Commission Directorate General V Employment Task Force, September 1994.
(6) HUWS U. Teleworking and Gender. Draft report to the European Commission's Equal Opportunities Unit, DGV, 1996
(7) ILLINGSWORTH M.M. Virtual Managers. Information Week, 1994, June 13.
(8) US Department of Energy Office of Policy, Planning and Program Evaluation, Energy, Emissions and the Social Consequences of Telecommuting, US DOE, 1004.
(9) WARF B. Telecommunications and the Changing Geographies of Knowledge Transmission in the late 20th century. Urban Studies, 1995, vol. 32, n° 2, pp. 375-376.

Notes

[1] Ce texte a fait l'objet d'une présentation lors de la 63ème Conférence de l'IFLA, (International Federation of Libraries Association) qui s'est tenue à Copenhague, du 31 août au 5 september 1997, lors d'un atelier de travail intitulé: On Ressource Sharing in Medical Libraries - Informatics and Human Aspects.

cop. JP Accart, 2007

 

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