Les réseaux

(2006) - Consortiums : optimiser ses acquisitions

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Archimag - Guide pratique :  Les publications électroniques,

3è éd., mai 2006

Les professionnels de l'information sont confrontés quotidiennement à des questions d'ordre économique : restrictions budgétaires, regroupement ou fusion de services, réduction de personnel, augmentation des tarifs des abonnements font partie de la vie quotidienne d'une bibliothèque ou d'un service d'information, quelle que soit leur taille. Trouver des solutions adaptées, proposer une organisation rationnelle des ressources (humaines, financières), préserver l'accès aux ressources informationnelles constituent des défis non négligeables que la profession relève souvent avec efficacité. Parmi les solutions existantes en ce qui concerne la politique d'acquisition, l'adhésion à un consortium pour l'accès aux publications électroniques, aux bases de données ou aux données factuelles présente de nombreux avantages. Mais, comment repérer le consortium auquel se rattacher, comment cela fonctionne-t-il ? Quels en sont les avantages pratiques et financiers ?

Qu'est-ce qu'un consortium ? Une licence ?

« Un consortium est un groupement d'entreprises juridiquement indépendantes (une association de bibliothèques ou de services d'information) réunissant sous une direction unique des moyens financiers ou matériels en vue d'exécuter en commun des opérations déterminées ».

« La licence est un contrat de droit privé négocié par des fournisseurs d'information et des acheteurs, elle précise le prix, les conditions d'accès et d'utilisation. Il existe plusieurs types de licences : individuelle, institutionnelle, de site, en consortium » [1].

Actuellement, l'achat groupé et la négociation de licences d'accès à des bases de données et surtout aux périodiques électroniques sont les principales raisons de la mise en place des consortiums, mais cela n'a pas toujours été le cas (voir Encadré sur l'histoire des consortiums). Les restrictions budgétaires, l'augmentation des besoins d'information, la création de collections virtuelles de référence expliquent que les bibliothèques souhaitent relancer leur coopération. Leur objectif est de rassembler un pouvoir d'achat suffisant pour négocier avec des éditeurs un accès collectif à un ensemble de périodiques ou de bases de données. Grâce aux consortiums, les bibliothèques et services d'information sont des acteurs à part entière sur le marché éditorial, car ils représentent une force de pouvoir d'achat.

Il existe deux types de consortiums :

  • - les consortiums informels, sans statut juridique: ils possèdent des serveurs et des licences achetés au nom du consortium;
  • - les consortiums officiels, avec un statut juridique déclaré. La licence est un contrat de droit privé négocié par des fournisseurs d'information et des acheteurs: elle précise le prix, les conditions d'accès et d'utilisation.

Les consortiums informels n'ont pas de personnels dédiés. Les consortiums officiels, quant à eux, créent une structure de coordination qui gère les relations avec les fournisseurs de services.

Petite histoire des consortiums

C'est aux États-Unis, à partir des années 1930, que se développent les premiers consortiums de bibliothèques. Plusieurs causes à ce développement sont mises en avant, la principale étant la rationalisation du travail en bibliothèque. A partir des années 1970, le catalogage partagé (à l'exemple d'OCLC), puis le prêt entre bibliothèques ou les catalogues collectifs ; et, en 1990, le partage de systèmes informatiques entre professionnels de l'information. En 1997, la cellule Mathdoc du Réseau national des bibliothèques de mathématiques crée un groupement d'achat de produits, mais ce n'est qu'à partir de 1999, avec le développement de la documentation électronique, que les consortiums sont remis à l'ordre du jour.

Quelques exemples de consortiums ou de groupements en France :

  • - Bibliothèques de lecture publique:

CAREL (Consortium pour l'acquisition des ressources en ligne) [2], créé en 2002 afin de mutualiser les acquisitions de ressources en ligne pour les bibliothèques publiques. Le comité de pilotage est assuré par des associations professionnelles, la DRAC, la Bibliothèque publique d'information (BPI) : il se réunit une fois par an pour sélectionner les ressources qui feront partie du catalogue ; il négocie les tarifs - en vue de les harmoniser - auprès des éditeurs. Il définit les contenus des services électroniques les mieux adaptés aux usages de la lecture publique. En 2005, 77 établissements ont signé, par l'intermédiaire de CAREL, 317 abonnements à des ressources électroniques. Trente titres sont proposés : encyclopédies, dictionnaires, bases de presse, bibliographies, musique, autoformation, bases juridiques, outils pédagogiques pour les jeunes, réservoirs de notices... Les tarifs annuels vont de 60 à 6 000 €.

  • - Bibliothèques universitaires:

COUPERIN (Consortium universitaire de périodiques numériques) [3] a été créé pour répondre à l'accroissement exponentiel des prix des périodiques électroniques. Il regroupe les bibliothèques universitaires et de recherche (voir Encadré sur le consortium COUPERIN).

Les CADIST (Centres d'acquisition et de diffusion de l'information scientifique et technique), créés en 1980, sont des groupements thématiques constituant un dispositif d'achat partagé de la documentation spécialisée. Ils investissent des champs peu couverts par COUPERIN, tels la physique (l'Université de Grenoble I avec 14 bibliothèques participantes), les sciences économiques et la gestion.

  • - Bibliothèques de recherche:

Il existe soit des regroupement d'organismes de même statut  tels le Cemagref, l'Inserm, ou l'Inria ; ou  l'exemple du CEA qui, par l'intermédiaire de sa centrale d'achats négocie les contrats avec les intermédiaires pour l'ensemble de ses bibliothèques. Le CNRS a une démarche très volontariste en terme de documentation électronique pour les bibliothèques de son réseau : cet organisme souhaite en effet promouvoir également sa propore communauté scientifique avec le CENS (Centre d'édition numérique scientifique) [4], Revues.org  (fédération de 56 revues en sciences humaines et sociales) [5] et le CCSD (Centre de communication scientifique directe) [6].

  • - Les services de documentation en entreprise:

La tendance est plutôt à la négociation avec les intermédiaires ou aux groupements d'achat pour un seul produit avec les acteurs commerciaux que sont Swets, Silverplatter, Datec, Ovid, Current Contents, Academic Press...

Le consortium Couperin

Le consortium Couperin a été fondé en 1999 par quatre directeurs de SCD (Strasbourg 1, Nancy 1, Marseille 2, Angers) et soutenu de manière très forte par le président de Strasbourg 1 qui a relayé l'action du consortium auprès des grands organismes de recherche et des tutelles (Direction de l'enseignement supérieur - Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, Direction de la recherche, Direction de la technologie). En février 2003, une nouvelle équipe a pris le relais. Les universités de Nice Sophia Antipolis et de Lyon 1 Claude Bernard deviennent, via leurs SCD, les établissements supports du consortium. En mai 2005, il réunit 186 membres : 94 universités, 55 écoles supérieures, 24 organismes de recherche et 13 membres divers. Couperin présente ses objectifs à long terme dans un « Manifeste » centré sur une ouverture large à l'information scientifique et technique.

Les membres reçoivent les factures des éditeurs, préalablement validées par le bureau central.

Le site dynamique de Couperin donne des informations complètes en accès libre. Il est aussi un instrument de travail en accès réservé aux adhérents. Deux listes de diffusion Couperin et Couperin-achats les informent. Toute la communication se fait par courriel.

Couperin est structuré autour d'un bureau professionnel de 11 membres (présidente + 10 professionnels) animé par un coordonnateur, et de 2 départements :

  • le département « Négociations documentaires » regroupe, sous l'égide d'un coordinateur et de 6 responsables de pôles, tous les négociateurs mandatés (52) et coordonne l'ensemble des négociations (107) avec les éditeurs, en collaboration avec les EPST et réseaux thématiques, permettant l'acquisition collective des licences d'accès aux produits documentaires ;
  • le département « Études et prospective », appuyé sur un groupe technique de travail (GTC 15), sous l'égide d'un coordinateur, prépare les dossiers définis par le bureau professionnel (évaluation et expertise en système d'information documentaire, archivage pérenne, accès intégré aux ressources électroniques, accès aux ressources alternatives, publications en ligne des établissements et archives ouvertes). Il dispose d'une liste fermée de diffusion : Couperin-technique.

Deux réalisations ont été récemment effectuées : le Groupement de commande Elsevier (Couperin, CNRS, Inserm et Inra) et l'APE : outil de signalisation des périodiques en ligne par les titres, développé avec l'Abes.

Couperin totalise, fin 2005, 197 membres (96 universités, 63 écoles supérieures, 23 organismes de recherche, 15 autres organismes).

Le fonctionnement d'un consortium

Issu d'une volonté de meilleure gestion des coûts au niveau de l'acquisition des sources d'information, le consortium est initié généralement par des responsables administratifs (conservateurs de bibliothèques, directeurs de services d'information, bibliothécaires, documentalistes, gestionnaires...) qui décident de s'associer en fonction d'objectifs et d'intérêts communs. Plus rarement, tout du moins en France, la création d'un consortium est le fruit d'une volonté ministérielle. Cette communauté d'intérêts décide des grandes lignes stratégiques à adopter, les domaines d'intervention, les budgets à allouer, la participation financière de chacun des membres en fonction de plusieurs critères :

  • - le nombre de bibliothèques impliquées,
  • - le nombre d'accès souhaités en fonction de la population concernée: chercheurs, professeurs, étudiants ou autres types d'usagers,
  • - le type de sources d'information concernées: périodiques électroniques, banques de données, données factuelles telles les bases de données de presse ou économiques...

Un comité de pilotage, plus retreint, définit précisément les aspects pratiques suivant l'orientation stratégique du projet. Ses membres représentent les différents types de bibliothèques associées.

La direction du projet et le bureau central qui lui sont rattachés définissent l'orientation opérationnelle du consortium: ils organisent et coordonnent la conclusion de licences communes de ressources d'informations électroniques pour les bibliothèques. Ils prennent en charge également les tâches suivantes:

  • Analyse des besoins en informations numérisées, réception des propositions de produits à acquérir, mise en place de tests de produits, récolte des offres, négociations de licences avec les fournisseurs.
  • Organisation de l'infrastructure technique pour la mise en réseau (centrale ou locale) des données en collaboration avec les institutions responsables, documentation sur l'utilisation des données (statistiques d'utilisation).
  • Le bureau central sert de centre d'information pour les bibliothèques, organise la diffusion de l'information, maintient un contact régulier entre les partenaires et représente le consortium vers l'extérieur.
  • Des équipes d'experts peuvent être constituées : elles se composent de spécialistes du domaine bibliothéconomique ou scientifique et disposent de connaissances spécifiques sur les produits. Ils conseillent en cas de besoin autant le comité de pilotage que le bureau central.

Le financement d'un consortium

Le financement d'un consortium est très différent selon la structure adoptée : subvention de l'État ; budget des bibliothèques ou des universités ; droits en fonction des prêts et emprunts réciproques ; nombre d'utilisateurs potentiels (étudiants, enseignants, chercheurs...) ; taille des collections. Un droit d'accès plus ou moins important est demandé aux membres du consortium. Il couvre, selon les cas : les frais de gestion et de représentation du consort
um ; les négociations pour les licences ; les services électroniques offerts ; les systèmes de travail partagé (acquisitions de documents ; catalogue collectif ; archivage...).

Les tarifs des consortiums

Selon Ghislaine Chartron [7], la tarification des licences est multiple, deux  tendances se dégagent :

  • - Une tarification associée au papier. Plusieurs cas de figures sont alors possibles: l'électronique gratuit mais couplé à un abonnement papier, un prix fusionné intégrant le papier et l'électronique, le prix du papier plus un surcoût pour l'électronique (le surcoût pouvant dépendre de divers paramètres comme le nombre de machines, le nombre d'usagers, d'accès simultanés...).
  • - Une tarification dissociée du papier. Les offres de ce type sont en émergence et devraient se confirmer dans les années à venir.

La négociation consortium/éditeurs

La négociation consortium/éditeurs répond à quelques principes généraux. Pour Couperin qui se fonde sur la charte ICOLC (International Coalition of Library Consortia [8]), la grille de négociations pour les périodiques répond aux grandes lignes suivantes :

- la durée de l'abonnement

- le renouvellement

- les collections concernées (nombre de titres, catalogue entier, annulations de titres)

- l'accès aux années antérieures,

 la facturation (éditeur, distributeur, langue de la licence)

- l'archivage

- les tests

- les statistiques

« Les institutions de petite et moyenne taille bénéficient beaucoup de ces négociations globales auxquelles elles pourraient difficilement faire face individuellement : les paramètres de facturation sont vite complexes et seuls des professionnels rompus à ces négociations peuvent éviter certains pièges. Généralement, les éditeurs cherchent à protéger leurs éditions imprimées et ils accordent des remises à un consortium si les bibliothèques conservent leurs abonnements papier. Pour les éditeurs, il est aussi plus facile d'avoir un interlocuteur unique [9] ».

Les avantages et les inconvénients de travailler en consortium

Avantages

Inconvénients

Gestion rationalisée des coûts des abonnements

Une bibliothèque n'est plus propriétaire de l'information qu'elle délivre

Mutualisation des fonds documentaires

Dépendance dans la gestion des budgets

Accès facilité à l'information 

Les membres d'un consortium sont liés pour plusieurs années

Amélioration des conditions d'acquisition d'un ensemble de bibliothèques ou de services de documentation

Question de l'archivage et de l'accès permanent à des collections électroniques

Négociation facilitée avec l'éditeur pour l'achat de licences de documents électroniques

Problème en cas de fin de contrat du consortium (les contrats consortiaux sont limités dans le temps) : accès à certaines collections remis en cause ou hausse des tarifs

Obtention d'un meilleur marché que des bibliothèques et services de documentation indépendants 

Perte financière par rapport à la reprographie de documents (surtout dans les bibliothèques universitaires françaises) 

Partage des coûts (gestion, fonctionnement) 

 

Souplesse dans l'acquisition des produits

 

Principe de l'accès électronique croisé

 

Pour l'utilisateur, le consortium permet d'accéder à des services électroniques d'information (périodiques et ouvrages en texte intégral ; profils...) de manière dynamique, grâce à une interface d'accès unique.

Quel intérêt de participer à un consortium ? Etudier les usages et les coûts

Dans un contexte où  les coûts documentaires augmentent 3 à 4 fois plus vite que les budgets d'acquisitions, le premier intérêt de participer à un consortium est avant tout économique : il s'agit de démontrer si les investissements déjà réalisés pour l'accès à la documentation sont utiles. Faut-il :

  • - acquérir un périodique électronique ou une base de données par abonnement?
  • - envisager une version papier plus une version électronique (surcoût électronique: E-fee)
  • - ne considérer que la version électronique(E-only) ?
  • - proposer le simple accès?
  • - proposer l'accès à une base de données de sommaires en ligne?
  • - faire un échantillonnage suivant la taille de l'établissement?
  • - acquérir simplement les articles intéressant et utiliser le pay per view [10] ?

Il est nécessaire de commencer par l'étude de l'usage qui est fait de la documentation électronique dans la bibliothèque ou le service de documentation. De manière générale, si l'on constate actuellement une baisse des services traditionnels (prêts, copies...), des stocks ou des reliures, il faut cependant prendre en considération les coûts engendrés par, d'une part, l'achat et la maintenance d'un système informatique et d'autre part, ceux d'un personnel qualifié. Cependant, l'usage de la documentation électronique sur un long terme permet de baisser certains coûts et celle-ci offre des services plus performants aux utilisateurs. Le recours au prêt interbibliothèques s'avère aussi moins nécessaire, ce qui engendre des économies.

Un deuxième intérêt est l'offre documentaire élargie que représente la documentation électronique, celle-ci représentant une valeur ajoutée par rapport aux services déjà proposés.

Le troisième intérêt de participer à un consortium relève de l'aspect « travail en réseau » ou « travail collaboratif » : il en existe d'autres tels le catalogage partagé, les catalogues collectifs (l'expérience du SUDOC est à cet égard exemplaire) ou les services de référence virtuels qui se développent actuellement.

Enfin, un autre intérêt (et non des moindres) est la plus grande facilité pour les bibliothèques d'obtenir des subventions si elles montrent à leurs autorités de rattachement qu'elles travaillent de façon coordonnée.

Enfin, il est utile de préciser que l'utilisation de normes peut être une aide précieuse en matière de calcul des coûts en documentation, notamment les normes ISO 2789 (statistiques internationales de bibliothèques) et 11620 (indicateurs de performance des bibliothèques).

Jean-Philippe Accart

Pour plus d'information :

- Ecodoc, l'économie du document 

- Guide de la documentation électronique:

 http://www.captaindoc.com/

- POLDOC (Groupe de recherche bibliothéconomique appliquée aux outils de politique documentaire):

 http://www.enssib.fr/autres-sites/poldoc/

- SPARC (Scholarly Publishing & Academic Ressources Coalition):

 http://www.arl.org/sparc


[1] Définitions d'Isabelle Antonutti :  http://www.bpi.fr/uploadfile/consortium.PDF, p. 2.

[2] CAREL :  http://www.bpi.fr/ress.php?id_r1=372&id_c=58

[3] COUPERIN :  http://www.couperin.org/

[4] CENS :  http://www.cens-cnrs.fr/

[5] Revues.org:  http://www.revues.org/

[6] CSCD :  http://cscd.cnrs.fr/

[7] voir Les coûts des ressources électroniques  

[8] ICOLC :  http://www.library.yale.edu/consortia/

[9] Selon Alexis Rivier, Bibiliothèque publique et universitaire de Genève

[10] Pay per view : paiement selon le nombre de visualisation

Cop. JP Accart, 2007

 

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