Les Techniques documentaires

(2011) - Les nouveaux modèles de services de référence

couverture_argus40_1publié dans la revue Argus, vol. 40, n°1

Résumé 

Les nouveaux modèles de services de référence et d'information s'appuient principalement sur les aspects technologiques des services de référence virtuels (SRV). Ils relèvent aussi bien de bibliothèques ou services de documentation classiques que d'entreprises privées qui se lancent parfois avec succès dans la référence virtuelle. L'angle pris est celui des nouveaux services numériques à l'usager, mais pas uniquement. Quelques exemples : SRV, services offerts par le web mobile, « envoyer un SMS à un bibliothécaire », bibliothécaires dans un monde virtuel, services de référence « combinés », bibliothèques sans service de référence ou sans livres offrant des ressources virtuelles, « book a librarian », le service de référence - centre d'appels, la référence 2.0... Voici quelques tendances actuelles de la référence virtuelle, l'objectif principal de ces nouveaux services étant de garder ou de renforcer le lien virtuel avec l'utilisateur.

Les nouveaux modèles de services de référence virtuels

Les services de référence de bibliothèques (et de certaines entreprises privées spécialisées dans l'offre de services questions/réponses) proposent de nouvelles possibilités de lien virtuel avec l'utilisateur. Cela est dû à des technologies innovantes, mais également - et peut-être surtout - à des individus innovants. Un autre élément d'innovation est le rôle joué simultanément par le bibliothécaire de référence et l'utilisateur dudit service : travaillant de concert, ils font évoluer le service et trouvent de nouvelles voies d'expérimentation.

La « référence mobile », avenir de la référence virtuelle ?

Le développement en continu du téléphone portable ou cellulaire, et des nombreuses applications qui permettent d'accéder directement à des services en ligne - ce qui pourra aussi avoir une incidence non négligeable sur l'utilisation des moteurs de recherche - la couverture mondiale des réseaux de téléphonie mobile, tous ces éléments participent à la mise en place de la « référence mobile », mais cette fois-ci virtuelle. D'aucuns, telle Joan K. Lippincott dans un article intitulé « Mobile Reference : what are the questions ? » [1], considèrent celle-ci comme l'avenir de la référence virtuelle. Et il est vrai que le téléphone portable est un excellent outil de contact direct avec l'utilisateur, par SMS ou conversation, également par chat. Au vu du taux de pénétration des téléphones dans la population sur le globe, et surtout de leur utilisation par la génération des « Digital Natives » (mais pas seulement), les bibliothèques doivent se poser maintenant la question de l'utilisation extensive de ce moyen de communication et pourquoi pas créer leur propre application afin d'offrir un service de référence mobile : les codes QR s'appliquent alors [2]. Cependant, des bibliothèques utilisent déjà les SMS pour signaler l'arrivée d'un document réservé, les retards dans les emprunts ou l'acquisition de nouveaux documents.

Des sociétés commerciales privées ont compris l'enjeu de la référence virtuelle et/ou mobile et se positionnent sur le marché. Any Question Answered (AQA) ou AQA 63336 ou AQA [3], service de questions / réponses privé britannique par téléphone mobile, a été lancé en 2004 par Colly Myers et Paul Cockerton. Ce service a répondu à plus de 25 millions de questions à partir d'une base de données archivant plus de 6 millions de réponses. 725 personnes (de l'étudiant au médecin, en passant par la ménagère) forment l'équipe d'AQA. Quel que soit le type de questions posées, ce service répond dans la demie heure et charge le coût d'un appel. AQA vient de lancer un service de microblogging AQA2U [4], similaire à Twitter.

Quelques questions posées au service AQA

- Quel est le nom de la personne qui a vécu le plus longtemps au monde ? : il s'agit de Jeanne Calment en France, née le 21 février 1875 et décédée le 4 août 1997, à l'âge de 112 ans et 164 jours.

- Quelle est la photo la plus demandée aux Archives nationales américaines ? : il s'agit de la photo d'Elvis Presley rencontrant le Président Richard Nixon dans le bureau ovale de la Maison blanche le 21 décembre 1970.

- Quel est le quotidien de presse le plus lu dans le monde ? : la réponse est le Yomiuri Shimbun au Japon qui vend 14 millions d'exemplaires chaque jour. The Times of India est le journal en langue anglaise le plus lu.

La référence 2.0 : « Toute question est légitime »

Les réseaux sociaux fondés sur l'échange et l'interaction humaine ne pouvaient pas passer outre la référence virtuelle. Celle-ci est le plus souvent issue des internautes eux-mêmes qui, le plus souvent, ne sont pas, comme les bibliothécaires, des spécialistes de l'information.  Malgré cela, la référence 2.0 mérite d'être signalée, voire étudiée, et comme l'indique Patrick Bazin, actuel directeur de la Bibliothèque publique d'information à Paris et qui a lancé en 2005 le Guichet du Savoir à la Bibliothèque municipale de Lyon [5] : « Toute question est légitime ». Voici quelques exemples nouveaux ou plus anciens, de Référence 2.0 :

En mars 2011, Facebook lance le bouton « Questions » maintenant présent sur la page de chaque membre du réseau : cela signifie qu'il est possible de poser des questions à son propre réseau d'amis. De même avec Twitter, le réseau peut être sollicité pour n'importe quelle interrogation. Les autres réseaux sociaux, plus professionnels tel LinkedIn, permettent de s'inscrire à des groupes de discussion et donc de soulever questions et débats. Wikipedia s'est lancé également dans le domaine des questions/réponses avec « Reference Desk » dans sa version anglaise [6] : ce sont les membres de Wikipedia qui vont répondre. Quora [7], lancé en janvier 2010, est un réseau social créé par deux anciens collaborateurs de chez Facebook, Adam Angelo et Charlie Reever qui ont levé 11 millions de dollars. Ce service permet aux utilisateurs (on ne peut s'inscrire que sur invitations) de poser des questions, y répondre et les commenter. On a la possibilité de s'abonner à des flux qui apparaitront sur notre timeline. La publication de questions peut se faire soit de manière publique avec son profil complété ou avec un mode anonyme. Quora se définit comme étant une source d'informations primaire plus journalistique qu'encyclopédique comme peut l'être Wikipedia. Les réponses apportées sur Quora ont pour vocation d'être citées en référence d'articles. Il revendique 500 000 utilisateurs. La librairie en ligne Amazon a lancé son propre service Askville [8]

Même si on ne peut pas vraiment considérer les moteurs de recherche comme faisant partie du Web social, il faut signaler dans la catégorie des outils ou services questions/réponses pris en charge par les internautes, « Yahoo ! Answers » [9] : l'inscription est également obligatoire, mais les réponses apportées occasionnent beaucoup de « bruit ». Curieusement le moteur Google qui avait lancé en 2002 « Google Answers », a dû arrêter ce service qui ne fonctionnait pas.

Enfin, un des derniers nés parmi les sites communautaires est le système Stackoverflow [10], qui analyse la question et fournit une réponse automatique. Il semble réservé à une communauté plutôt connectée sur les réseaux ou la téléphonie mobile et apportent des réponses techniques.

Il semble donc que les services questions/réponses profitent également des avancées du Web 2.0.

Le processus collaboratif, entre espace de travail et technologie

Il semble que la bibliothèque « espace de travail » ou « lieu social » ne soit cependant pas tout à fait passée aux oubliettes. Preuve en est les nombreuses constructions assez futuristes en Europe par exemple (le Rolex Learning Center à Lausanne ; la DOK à Delft...), ainsi que la prise en compte du concept de bibliothèque 3ème lieu qui commence à faire son chemin.

Ces nouvelles réalisations intègrent bien entendu une dimension technologique forte, avec des espaces consacrés aux outils numériques ou des ateliers autour des nouvelles technologies. La formation à l'information des utilisateurs prend alors toute sa dimension.

La référence mobile n'est pas nécessairement virtuelle

La référence, à l'intérieur de la bibliothèque, et donc non virtuelle, devient mobile : devenir proactif, ne plus rester au bureau de référence, aller au devant de l'utilisateur si le besoin s'en fait sentir, cela devient de plus en plus la règle dans les bibliothèques ; cette démarche prend pour nom « Walking Reference ». La Kornhausbibliothek  bibliothèque publique de la ville de Berne (Suisse) [11], expérimente ce service avec un certain succès depuis 2008.

La bibliothèque publique d'Amsterdam [12], célèbre à juste titre pour son architecture, a introduit la référence près de l'utilisateur, côte à côte afin que le bibliothécaire puisse montrer ce qu'il est en train de faire sur écran (interrogation du catalogue, de bases de données, consultation de sites Internet : ils sont debout au bureau de référence, celui-ci ayant été redessiné en forme allongée et arrondie, à hauteur d'homme.

Depuis 2005, date de création de son service de référence virtuel sur la Suisse SwissInfoDesk [13], la Bibliothèque nationale suisse constate que ses utilisateurs en ligne émettent le souhait, pour certains, d'être aidés dans leur recherche, mais sur place : la prestation « Book a librarian » [14] a ainsi été mise en place pour répondre à ce besoin, à l'instar d'autres bibliothèques dans le monde ; l'utilisateur peut  bénéficier de l'assistance d'un bibliothécaire dans ses recherches sur place à la BN, un certain nombre de ressources n'ayant pas encore été numérisées et n'étant consultables que sur papier. Cette prestation n'est généralement pas gratuite..

Enfin, autre exemple de référence mobile, celui de « Street Reference » [15] qui nous vient des Etats-Unis, lancé par le mouvement de bibliothécaires « Radical Reference » et qui intervient souvent lors de manifestations politiques, directement en prise avec les citoyens.

Outre la référence mobile (voir Encadré ci-dessous), l'espace de travail peut être suffisamment grand ou éclaté en divers autres espaces pour que la technologie soit une aide précieuse à la référence et renforce par là-même le processus collaboratif. Sur un campus universitaire comportant plusieurs bibliothèques et donc plusieurs services de références, ceux-ci peuvent être mis en réseau et utiliser Twitter comme outil d'échanges. Dans une grande bibliothèque avec des salles sur plusieurs étages, comme c'est le cas à la Bibliothèque publique d'information au Centre Beaubourg à Paris, les postes informatiques à disposition du public sont disponibles pour le chat avec les bibliothécaires de référence en cas de besoin. Les exemples peuvent être multipliés.

En conclusion

Les notions de référence et de référence virtuelle connaissent des applications multiples et innovantes, grâce principalement à la technologie. Il n'est pas innocent que le secteur commercial s'empare de ce domaine, à l'heure où les bibliothèques développent ces systèmes d'interaction avec l'utilisateur. Cependant, les différents exemples le montrent, il semble que même si la concurrence joue - elle stimule les différents acteurs de la référence - chacun trouve sa place.

Bibliographie

Accart Jean-Philippe. 2008.  Les services de référence. Du présentiel au virtuel, Paris : Editions du Cercle de la Librairie.

Agosto Denise E., Lily Rozaklis
Craig MacDonald, and Eileen G. Abels.2011. "A Model of the Reference and Information Service Process: An Educators' Perspective", April 3rd, 2011,  RUSQ.  [on line], http://www.rusq.org/2011/04/03/a-model-of-the-reference-and-information-service-process-an-educators%E2%80%99-perspective/

Janes Joseph. 2008. "An Informal History (and Possible Future) of Digital Reference," Bulletin of the American Society for Information Science & Technology 34, no. 2 (Dec. 2007/Jan.): 8-10.

Lankes R. David. 2004. "The Digital Reference Research Agenda," Journal of American Society for Information Science & Technology 55, no. 4 (Feb. 15): 311.

Servet Mathilde. 2010. « Les bibliothèques troisième lieu », Bulletin des Bibliothèques de France, 2010, n° 4, p. 57-63.

Oldenburg Ray. 1989. The Great Good Place : Cafés, Coffee Shops, Bookstores, Bars, Hair Salons and Other Hangouts at the Heart of a Community, Marlowe & Co, 1989.


[1] Publié dans The Reference Librarian, vol. 51 (1) January-March, 2010, pp. 1-11.

[2] http://www.code-qr.net/

[3] http://www.aqa.63336.com/

[4] http://www.aqa.63336.com/keswebmodule/memberlogin.do?reason=e

[5] http://www.guichetdusavoir.org/

[6] http://en.wikipedia.org/wiki/Wikipedia:Reference_desk

[7] http://www.quora.com/

[8] http://askville.amazon.com/Index.do

[9] http://answers.yahoo.com/

[10] http://stackoverflow.com/

[11] http://www.kornhausbibliotheken.ch/

[12] http://www.oba.nl/

[13] http://www.nb.admin.ch/dienstleistungen/swissinfodesk/index.html?lang=fr

[14] http://www.nb.admin.ch/dienstleistungen/swissinfodesk/00769/index.html?lang=fr#sprungmarke1_11

[15] http://bc.barnard.columbia.edu/~jfreedma/zines/lesl04_rnc.htm

 

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