Les utilisateurs

(1994) - L'émancipation des publics défavorisés

IFLA Section of Libraries Serving Disadvantaged Persons Newsletter, 1994, n° 39, pp. 2-3.

En tant que professionnels de l'information, il faut apprendre à nos utilisateurs, les publics dits défavorisés, à savoir trouver et utiliser l'information : marginalisés de par leur position (prisonniers, personnes incapables ou déficientes, étudiants handicapés, malades hospitalisés), ils doivent cependant pouvoir posséder les moyens de la recherche documentaire, les outils bibliographiques, et en dominer suffisamment le contenu afin de résoudre eux-mêmes les problèmes posés par leur incapacité, que celle-ci soit temporaire ou non.

"Les ouvrages et périodiques facilement accessibles à un public handicapé mentalement", "l'information médicale délivrée aux patients hospitalisés", "l'information juridique pour les prisonniers" ainsi que "les possibilités offertes aux étudiants handicapés", tels étaient les quatre thèmes parallèles retenus de la session pour les publics défavorisés avec pour thème générique : l'Emancipation grâce à l'information.

"Les ouvrages et périodiques facilement accessibles à un public handicapé mentalement" / Lisbeth Rosenschold (ER Foundation) - Suède.

Il s'agit d'un des thèmes qui a été le plus étudié par la Section des publics défavorisés. Les handicapés mentaux ont des problèmes de langage, de compréhension. Les bibliothèques publiques n'offrent généralement pas la littérature adéquate pour ces utilisateurs : il faut, en effet, mettre sur pied des fonds de documents adaptés, et cela relève plus d'une bibliothèque spécialisée que d'une bibliothèque municipale.
Depuis plusieurs années, un groupe d'étude s'est mis en place au sein de la Section, et ses travaux ont porté sur, d'une part, la connaissance du matériel nécessaire, et d'autre part, les recommandations concernant des listes de documents de référence. Ces travaux sont en cours, et sont en relation directe avec le 6ème IFLA Core Programme : " la Promotion de l'instruction et de la lecture grâce aux bibliothèques".

Un exemple intéressant est celui de la la Suède, où la ER (Easy to Read) Foundation existe depuis 1987. Elle a mené un certain nombre de travaux :

  • l'édition d'ouvrages, et la création d' une maison d'édition
  • la publication d'un journal de 8 pages
  • l'envoi d' ouvrages de la Fondation grâce à un service postal rapide
  • et la création d'une communauté d'intérêts autour de la Fondation

L'expérience de la ER Foundation s'est révélée très encourageante : des personnes handicapées se sont vues proposer, au sein de la Fondation, des activités de lecture en groupe. Après un temps assez court, elles ont demandé par elles-mêmes à lire des livres ou des journaux.

"L'information médicale délivrée aux patients hospitalisés"/ Jean-Philippe Accart (Centre Hospitalier d'Argenteuil) - France.

Une enquête nationale a été lancée en France en 1992 par la Direction des Hôpitaux et la Fondation de France avec pour thème "La lecture à l'hôpital". En voici les conclusions principales :
Dans l'histoire de l'hôpital, la pratique culturelle de la lecture, développée majoritairement par des associations caritatives et un bénévolat de plus en plus organisé, se heurte à une disparité, voire à une pauvreté de moyens dans nombre d'établissements hospitaliers. Mais l'offre de lecture s'inscrit de plus en plus largement dans la vie des établissements hospitaliers : cela signifie donc pour le patient la possibilité d'être mieux informé, et pour le bibliothécaire, un rôle de plus en plus affirmé dans cette émancipation des malades et dans leur droit d'accéder à plus d'informations.
De façon générale, il ressort des chiffres que le livre est présent dans beaucoup d'hôpitaux, mais cet acquis très ancien est souvent mal connu au sein même des établissements, à la fois par la structure et par les patients, car il est peu organisé et insuffisamment développé.
Autrement dit, 90, 6 % des lieux de lecture sont accessibles aux malades. Le problème de l'accès au livre s'est toujours posé de façon particulièrement aigüe à l'hôpital, en raison des difficultés de déplacement qu'éprouvent certains malades. 70 % des établissements proposent un accès direct et 30 % un accès indirect. Relativement développé dans les centres de moyen et long séjour où les malades ont souvent des problèmes pour accéder à la bibliothèque, ce service est réduit dans les centres spécialisés en psychiatrie.

L'enquête donne de nombreux exemples réussis de la pratique de la lecture en milieu hospitalier. Deux ont été retenus :

  • l'Association Locomotive qui, au travers d'une bande dessinée "Pascal et Caline contre Leukemia", aide les enfants (mais également leurs familles) traités pour des cas de leucémie, à mieux comprendre la maladie, à l'appréhender, et à la traiter.
    Le fonctionnement de l'institution hospitalière est également décrit.
  • la lecture en milieu gériatrique est le deuxième exemple. L'accent est mis sur la difficulté de lire pour les personnes âgées pour des raisons socio-culturelles, mais également matérielles, ainsi que de confort, notamment (caractères trop petits ; livres trop lourds à porter). Le comportement des équipes soignantes, par l'attention et l'affection montrées aux personnes mises en institution, est un des meilleurs vecteurs vers la lecture.

Ces deux exemples sont représentatifs de l'état de la lecture en milieu hospitalier : l'enfant malade et la personne âgée sont les deux types de populations susceptibles de rester le plus longtemps en traitement à l'hôpital. Le livre, la lecture constituent un moyen important et nécessaire d'appréhender la maladie, un traitement long ou un handicap. Ces exemples démontrent aisément l'importance du rôle du bibliothécaire par rapport à l'émancipation du malade : que celui-ci soit un enfant ou une personne âgée, le bibliothécaire représente un des moyens de lui faire accéder (ou de recouvrer selon les cas) à une certaine indépendance et autonomie.

"L'information juridique pour les prisonniers" / Vibeke Lehnmann (Library services coordinator- Madison) - USA

L'information juridique pour les prisonniers est un phénomène peu développé pour l'instant en France. L'exemple américain est très frappant, mais correspond à une législation différente de la législation française : la Constitution américaine soutient le droit des prisonniers et leur donne le droit d'accès aux informations produites par les tribunaux. C'est à partir de 1960 qu'ils peuvent consulter l'information produite par les cours, et en 1971, un minimum de matériel juridique doit leur être donné. Les détenus illettrés ont également des garanties d'accès à l'information juridique. Des bibliothèques légales voient donc le jour dans les prisons, afin de desservir une population d'un million de détenus. Leurs objectifs sont de deux ordres :

  • délivrer l'information en concordance avec les instructions données par les tribunaux
  • offrir des collections de livres aux prisonniers

Les bibliothécaires doivent donc posséder une formation juridique et se voient assigner un certain nombre de responsabilités :

  • la transmission des documents légaux
  • la coordination et la standardisation des normes en matière d'information juridique

Un certain nombre de difficultés existent cependant, liées à la formation des bibliothécaires, car la maîtrise de l'information juridique n'est pas aisée ; l'accès matériel à l'information, le fait que la mise en place d'une bibliothèque légale demande des moyens financiers (les bibliothèques présentent un coût certain), et enfin l'augmentation constante de la population carcérale américaine représentent d'autres difficultés.

"Les possibilités offertes aux étudiants handicapés" / Diane Bays (Bibliothèque Nationale du Canada)

Ce thème est une des préoccupations actuelles de la Bibliothèque Nationale du Canada et des bibliothèques des 250 universités et collèges canadiens. La Constitution canadienne reconnait aux étudiants le droit à l'éducation sans discrimination. Sur une population d'un million et demi d'étudiants, 112 000 présentent un degré d'incapacité.
Les services scolaires et étudiants ont mis sur pied des actions adaptées, ainsi que des possibilités d'accès facilitées aux structures documentaires. Parmi celles-ci : des rampes d'accès aux bâtiments ; l'enregistrement télévisé des cours ; du temps supplémentaire accordé durant les épreuves d'examen ; des ouvrages en braille pour les étudiants aveugles.

Un programme en neuf points a été dégagé visant essentiellement à coordonner les actions des universités et collèges entre eux. Voici les neufs points :

  • la coopération entre bibliothèques et Bureaux pour les étudiants défavorisés : un bibliothécaire est chargé de cette population particulière dans deux universités
  • la désignation d'un bibliothécaire afin qu'il développe ce type de service pour les étudiants handicapés, ceci pour faciliter l'accès aux bibliothèques
  • la connaissance des besoins pratiques des étudiants par tous les membres de l'équipe, en allant de l'équipe de sécurité jusqu'à celle des bibliothécaires
  • la consultation régulière des étudiants en vue d'adapter les moyens aux demandes
  • la mise en oeuvre d'une étude sur les équipements nécessaires dans les bibliothèques, le but étant de rendre les étudiants plus autonomes
  • l'accessibilité des bâtiments
  • l'accessibilité des services offerts par les bibliothèques
  • la délivrance d'informations sur l'utilisation des outils bibliographiques
  • la fourniture de documents dans différents formats

En conclusion

Ces quatre communications montrent l'importance de l'information dans l'autonomie et l'émancipation des publics défavorisés. Arriver à intégrer dans les institutions (prisons, hôpitaux, universités, centre de soins psychiatriques) les structures adéquates à chaque type de besoins soulèvent un certain nombre de difficultés, tant au plan matériel qu'au plan des mentalités.
Inscrit dans le thème plus général de la 60ème Conférence Générale de l'IFLA, "Le Développement social des bibliothèques", le thème de "l'Emancipation grâce à l'information" a pris, à Cuba, tout son sens. La preuve en était l'intérêt des participants cubains pour chaque intervention, et notamment des bibliothécaires pour les prisons.

cop. JP Accart, 2007

 

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