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(2015) - "Dialogue et lien intergénérationnel: que fait la bibliothèque ?"

in Dossier 191 : Seniors en bibliothèque

Résumé

Il n’existe que peu de lieux publics autres que la bibliothèque dans la cité où différentes générations - des plus petits aux plus âgés – peuvent se rencontrer, échanger, partager et s’informer réciproquement. La bibliothèque concentre un certain nombre de possibilités à exploiter pour rendre ce lien intergénérationnel effectif. Mais que fait la bibliothèque exactement ? De nombreux bibliothécaires ont compris cet enjeu d’importance dans la vie actuelle et font vivre le « lieu-bibliothèque » dans cette perspective, avec l’acquisition de supports d’information diversifiés, des animations ciblées, la tenue d’expositions ou de conférences, la venue d’auteurs, l’animation d’ateliers... La bibliothèque et le bibliothécaire sont en train de rénover complètement le concept même du « lieu-bibliothèque », en le réinventant, en lui donnant une ou des dimensions supplémentaires, en parallèle avec les réseaux de l’information.

Outre une vue d’ensemble de la bibliothèque comme lien social et intergénérationnel, cette présentation s’attache à présenter différents exemples de mutations actuelles dans certaines bibliothèques en lien avec la question qui nous préoccupe.

"Dialogue et lien intergénérationnel: que fait la bibliothèque ?"

La bibliothèque est un véritable lieu de vie, au cœur du quartier, de la cité, de la région. Elle s’insère généralement dans un maillage dense constitué avec d’autres institutions culturelles (théâtre, musée, archives, cinéma parfois…), éducatives (collèges, lycées…) ou des associations (d’insertion, de jeunes, de seniors…), elle peut aussi être la seule institution culturelle présente, elle contribue ainsi à rendre la ville plus humaine –  n’est-ce pas d’ailleurs une des qualités de celles et ceux qui en ont la charge, les bibliothécaires, d’avoir avant tout le sens de l’humain ? D’où le concept de médiation qui mérite que l’on s’y attarde.

Au cours de ce qui va suivre, nous allons nous attacher à traiter ces notions, tout en développant celles de lien social, de dialogue et de lien intergénérationnel.

Le lien intergénérationnel, une chance pour nos sociétés

Avec l’allongement de la durée de vie, jamais nos sociétés n’ont rassemblé autant de générations, des arrière-grands-parents aux arrière petits-enfants. Il y a donc là un fait social qui demande à être observé et qui constitue une chance réelle d’interaction et d’interdépendance entre personnes de générations parfois éloignées : la tendance est cependant de ne voir que les aspects économiques de l’allongement de la durée de vie qui même s’ils revêtent une certaine importance, ne doivent pas masquer d’autres aspects que sont les échanges et les partages entre générations, à leur plus grand bénéfice. Sur un autre plan que la culture et les bibliothèques, la solidarité intergénérationnelle joue un rôle important, surtout en période de crise économique. Pour ne prendre que l’Europe, pour cause d’études plus longues et parfois de chômage, les jeunes générations rentrent par exemple plus tard dans le monde du travail et dépendent plus étroitement des parents ou des grands-parents pour vivre. Les grands-parents sont généralement encore assez dynamiques pour prendre en charge de manière régulière leurs petits-enfants quand ceux-ci sont encore en train d’effectuer leur scolarité. Ces quelques aspects de la société actuelle se retrouvent dans les bibliothèques, fréquentées par toutes les générations, à des titres divers que nous allons détailler.

Il n’en reste pas moins que – et ce à contrepied du discours actuel - loin de constituer une charge ou un poids pour la société, l’allongement de la durée de vie et le lien intergénérationnel qui en découle doivent être vues comme des chances réelles de stabilité sociétale.

Cependant, pour accéder au lieu-bibliothèque, ce qui ne va pas toujours de soi pour tout le monde, des intermédiaires sont parfois nécessaires A ce point de notre développement, il convient d’introduire la notion de médiation en bibliothèque, notion qui est prise dans le sens qu’un intermédiaire est nécessaire entre le lecteur/utilisateur et le lieu bibliothèque : ce lien est bien sûr le professionnel de l’information qu’est le bibliothécaire.

La médiation en point d’orgue

La notion de médiation induit de toute évidence un aspect humain important, avec un aspect relationnel fort, avec une mise en relation entre une demande (celle du public) et une offre (celle du professionnel) : il s’agit donc d’une relation de service. Elle comporte, enfin, un aspect professionnel : comportement, attitude et réponse apportée à un besoin d’information.

La médiation est avant tout une mise en relation du public, des collections et des services, elle se traduit par un transfert d’informations : renseignements, orientation, aide, recherche d’information et de documents, formation à l’information… Il s’agit de la médiation d’information ou médiation documentaire – la plus « évidente ». Il existe d’autres aspects :

-       la médiation sociale, qui s’adresse à des publics différents issus par exemple de l’immigration ou de milieux défavorisés, n’ayant pas accès au livre ou à la culture. Il s’agit aussi de publics dits « empêchés », qui incluent les prisonniers, les malades, les personnes handicapées. Dans tous ces cas de figure, grâce à un travail en profondeur avec les associations locales, les bibliothèques apportent des réponses par la mise en place de collections, de services et d’animations adaptés. La médiation sociale montre à l’évidence qu’il s’agit d’un des rares endroits dans la cité où se construit le lien social.

-       la médiation culturelle, qui s’applique à la politique culturelle en lien avec celle de la ville, de la région, de l’université, du pays… Elle permet l’organisation d’expositions, de vernissages, la venue d’artistes, d’écrivains, des conférences et des débats, la mise en valeur de collections particulières, de fonds locaux ou patrimoniaux. Un rapprochement bibliothèque et musée est alors possible.

-       la médiation numérique, qui amène au Web social, car la médiation numérique se développe depuis l’apparition du Web social. Frédéric Cavazza, spécialiste des médias sociaux, les définit ainsi : « Les médias sociaux désignent un ensemble de services permettant de développer des conversations et des interactions sociales sur Internet ou en situation de mobilité » [2], celle-ci met l’accent sur la convivialité, un certain confort des lieux et un accueil rendu plus chaleureux : ainsi ces moments particuliers durant lesquels le public est accueilli peuvent être encore plus conviviaux. L’Association La Joie par les livres à Paris [4] est un des meilleurs exemples actuels proposant des ateliers informatiques ou des ateliers photos toutes générations confondues, durant lesquels celles-ci peuvent échanger leurs savoirs. De même, il est possible d’enregistrer de la musique, de convertir des fichiers informatiques ou audio. La bibliothèque publique d’Amsterdam [6]  dispose d’espaces baroques qu’elles louent à des créateurs pour des défilés ou des expositions. Elle sait aussi attirer son public en ligne : une des premières à proposer son catalogue sur téléphone mobile, elle offre également des expositions virtuelles (sur Louis II de Bavière notamment). La très dynamique Bibliothèque nationale de Singapour [8] : ce nouveau concept de bibliothèques a été inventé il y a dix ans dans des quartiers de l’est de Londres touchés par la pauvreté, le chômage (soit 40% de la population active). La population y est très mélangée : les étrangers en nombre côtoient les quartiers d’affaires, avec leurs salariés fortunés, qui sont à deux pas. 

Lorsqu’il lance ce nouveau concept d’Idea Stores, Serge Dogliani et son équipe commencent par demander aux habitants de l’arrondissement de Tower Hamlet, l’un des plus pauvres de Grande-Bretagne, pourquoi ils ne fréquentent pas les bibliothèques près de chez eux. Réponse des personnes consultées : ces bibliothèques sont nécessaires, mais il faut qu’elles proposent plus de livres, que les horaires d’ouverture soient élargis et que ces bibliothèques se situent là où conduisent les autres activités quotidiennes. « Avant, explique Serge Dogliani, ces bibliothèques étaient un peu cachées…». Pour répondre à ces attentes du public, les Idea Store ont donc été installés dans des centres commerciaux ou à côté des supermarchés. Elles ont fusionné avec les centres d’éducation permanente. « Tout a été mélangé, pour lire et étudier ». Les livres sont mis en valeur, exposés comme dans les librairies. Et ces bibliothèques publiques d’un nouveau genre sont ouvertes tous les jours, avec des plages horaires élargies pour attirer différents publics, du plus jeune au senior. A l’intérieur, les barrières ont été supprimées, et en général, il y a une petite cafétéria dans l’enceinte de la bibliothèque. Les interdictions ont disparu : on peut consulter un livre, une revue, ou se mettre devant un ordinateur, un café à la main. Le portable n’est pas interdit. Des activités sont ouvertes pour les parents et les enfants avec des clubs de danse. Sont régulièrement organisés des championnats de lecture, des performances vidéo, des chasses au trésor. Des écrivains sont embauchés pour écrire des histoires. Il y a des garderies pour les plus petits. L’été, pendant les vacances scolaires, est une période de grande activité. Avec des plages horaires élargies,  les bibliothécaires sont multitâches : conseil pour le choix des livres, mais également accueil du public, mise en place d’animations.

« L’Idea Store doit refléter la communauté locale », explique encore le créateur du concept. Les personnels sont donc embauchés dans le quartier et selon leurs compétences, par exemple pour la pratique de certaines langues et tous ne sont pas bibliothécaires. La fréquentation est repartie à la hausse,  le nombre de livres prêtés a doublé comme le nombre de personnes inscrites aux cours. 20 millions de livres-sterling sont investis dans ce projet qui n’est pas terminé. Sept sites en tout sont prévus, quatre sont déjà construits.

Conclusion

Toutes ces expérimentations peuvent amener la question suivante : cela relève-t-il du rôle de la bibliothèque ? Celle-ci est alors proche d’un centre culturel. Mais pourquoi ne pas faire évoluer la bibliothèque ? Le chemin semble être pris, menant vers d’autres voies, l’aspect « dialogue et lien intergénérationnel » apparaissent comme une vraie piste pour le futur. En bref, la bibliothèque est véritablement le lien social indispensable dans notre société de l’information.

Bibliographie

American Library Association, « Guidelines for Library and Information Services to Older Adults », 2008, [en ligne], adresse URL: http://www.ala.org/rusa/resources/guidelines/libraryservices, consulté le 05.04.2014

Dogliani, Sergio. Les idea Stores. Bulletin des bibliothèques de France [en ligne], n° 1, 2008 [consulté le 08 avril 2014]. Adresse URL: <http://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-2008-01-0069-013>. ISSN 1292-8399.

Intergenerational Solidarity in Libraries - La solidarité intergénérationnelle dans les bibliothèques, Ivanka Stricevic and Ahmed Ksibi (Eds.), De Gruyter, Saur, 2012, IFLA Publications 156

Servet, Mathilde, « Les bibliothèques troisième lieu», mémoire de diplôme de conservateur des bibliothèques, [en ligne], Villeurbanne, Enssib, 2009,  [consulté le 6 avril 2014], adresse URL : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/21206-les-bibliotheques-troisieme-lieu.pdf


[2] Voir en bibliographie le mémoire de Mathilde Servet

[4] http://www.helmet.fi/library10                                         

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